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Maternité éternelle (1955)
de Kinuyo Tanaka
publié le samedi 19 février 2022

par Andrea Grunert
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021

Sélection officielle du Festival Lumière Grand Lyon 2021

Sortie le mercredi 16 février 2022


 


L’héroïne de Maternité éternelle insiste sur une vie librement choisie en disant : "Quand je meurs, j’aimerais être ce que je suis. Je ne veux pas que Dieu m’aide à devenir une femme [considérée comme] bonne". Le film, dont le titre français alternatif, "Que les seins soient éternels", est plus proche du titre japonais et de l’histoire de son héroïne, relate la vie de la poétesse Fumiko Nakajo (1922-1954), morte à 31 ans d’un cancer du sein. Subissant la violence de son mari, elle décrit sa vie malheureuse dans ses poèmes, d’abord présentés dans un cercle de poètes amateurs à Hokkaido où elle vit. Les participants ne comprennent pas ses émotions, trouvant ses œuvres peu réalistes, voire exagérées. Les scènes de la vie conjugale montrées confirment pourtant leur justesse.
Fumiko demande le divorce après avoir découvert que son mari la trompait, mais doit laisser partir son jeune fils chez le père.


 


 

Tourmentée par la séparation, elle l’est aussi à cause de son amour inassouvi pour Hori (Masayuki Mori), un ami d’études marié à sa meilleure amie Kinuko (Yoko Sugi). Hori, l’encourageant à écrire, l’aide à se faire connaître dans les cercles littéraires de la capitale. Un moment crucial montre dans une succession de plans à quel point bonheur et tragédie se côtoient. Fumiko et son fils sont en train de se réjouir des quelques moments qu’ils peuvent passer ensemble quand elle reçoit la bonne nouvelle selon laquelle des revues littéraires de Tokyo s’intéressent à ses poèmes. La séquence est coupée par des reflets dans un miroir de sa main en train de palper ses seins, images qui annoncent le drame à venir.


 

Après la mastectomie, Fumiko, dont les métastases ont atteint les poumons, est la plupart du temps hospitalisée. C’est une femme fière et volontaire, qui se maquille et s’arrange les cheveux pour ne pas apparaître comme une femme condamnée devant le journaliste Otsuki (Ryoji Hayama) venu de Tokyo. Son attitude envers le jeune homme est hésitante, car elle craint de le voir plus intéressé par sa mort et un article spectaculaire que par ses poèmes. C’est pourtant avec lui qu’elle vivra un dernier moment d’amour.


 


 

Fumiko est une femme de son temps, qui a assimilé l’image de la femme soumise, malgré le courage dont elle témoigne à plusieurs reprises. Le film est dominé par des images d’intérieurs sombres, un jeu d’ombre et de lumière fascinant, mais souvent menaçant. La figure humaine plongée dans l’obscurité révèle le statut de prisonnière de l’héroïne - prisonnière de son sexe et de sa maladie, voire de la mort qui plane sur le film. L’idée de prison est également traduite par les grilles - celle de la fenêtre de la chambre d’hôpital et celle devant la morgue - montrées à plusieurs reprises. Dans une séquence, Fumiko suit des infirmières transportant une patiente vers la morgue, s’accrochant à la grille qui se ferme devant elle, son visage n’étant plus qu’un masque de désespoir. À la fin, ce sont ses deux jeunes enfants qui suivent la civière avec leur mère morte jusqu’à ce que la grille leur barre le chemin.


 

Le film se termine sur une note mélancolique avec les images des deux enfants et d’Otsuki jetant des fleurs dans le lac Doya, que Fumiko désirait voir sans l’avoir jamais pu. Outre la densité de la photographie en noir & blanc, le film contient des scènes fortes, osées même, montrant les seins de Fumiko préparés pour l’opération, suivis des plans d’appareils chirurgicaux et de tubes de transfusion, la froideur de la technique contrastant avec la chair tendre. Dans une séquence, Fumiko prend un bain chez la veuve de Hori qui, ouvrant la porte, est incapable de cacher son horreur à la vue de la poitrine de son amie.


 

Pendant qu’elle cherche à retrouver son calme, celle-ci lui avoue son amour pour Hori. Son aveu la torture peut-être plus elle-même que son amie. Le jeu de Tsukioka - soutenu par la mise en scène et le cadrage montrant Fumiko à travers la vitre de la porte - révèle une femme déchirée, entre culpabilité (elle voit sa maladie comme la punition de son amour interdit) et le désir de vivre. Le cadrage dans le cadrage étant le parfait symbole dans l’univers cinématographique de Kinuyo Tanaka, des femmes qui mènent toutes une lutte désespérée pour leur autodétermination.

Andrea Grunert
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021

* L’actrice Kinuyo Tanaka (1909-1977) a joué dans 116 films. Elle a également réalisé elle-même 6 films, entre 1953 et 1962.
Cf. aussi "Kinuyo Tanaka réalisatrice", Jeune Cinéma n°408-409, été 2021


Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare). Réal : Kinuyo Tanaka ; sc : Sumie Tanaka ; ph : Kumenobu Fujioka ; mu : Takanobu Saitô. Int : Yumeji Tsukioka, Ryôji Hayama, Junkichi Orimoto, Hiroko Kawasaki, Shirô Ôsaka, Tôru Abe, Masayuki Mori (Japon, 1955, 106 mn).



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