home > Films > Nuit des femmes (la) (1958)
Nuit des femmes (la) (1958)
de Kinuyo Tanaka
publié le samedi 19 février 2022

par Andrea Grunert
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021

Sortie le mercredi 16 février 2022


 


Le titre n’est pas sans évoquer Les Femmes de la nuit de Kenji Mizoguchi (1948) (1) dans lequel Kinuyo Tanaka a aussi joué le rôle principal. Son film traite également d’un sujet à l’époque brûlant, la prostitution. La Rue de la honte (1956) se termine sur la nouvelle selon laquelle une loi interdisant la prostitution n’a pas été votée. Deux ans plus tard, cette loi est adoptée et le gouvernement a créé des centres de réinsertion pour les prostituées. L’héroïne du film de Kinuyo Tanaka, la jeune Kuniko (Chisako Hara), vit dans un de ces centres.


 

Le générique se déroule sur fond d’images nocturnes d’un quartier de plaisirs où ont lieu des descentes de la police. La qualité documentaire de ces plans, accompagnés des explications en off sur la loi contre la prostitution, intègre le récit dans son contexte social immédiat. La photographie en noir & blanc de Asakazu Nakai renforce cette approche dans un film qui mélange réalisme et mélodrame.


 

Kinuyo Tanaka met l’accent sur le désir des employées du centre et des dames de son comité de soutien, dont Madame Shima (Kyoko Kagawa), d’améliorer le sort des femmes à leur charge. Pourtant, l’exemple de Kuniko met en lumière la difficulté des détenues à se réintégrer dans une société dans laquelle existent maints préjugés contre les prostituées. Dans son premier emploi, Kuniko, une fois son passé dévoilé, est traitée avec méfiance. Sa deuxième tentative pour trouver un travail échoue également. Mépris et hypocrisie font obstacle à sa volonté de changer son mode de vie. Madame Nogami (Chikage Akashima), la directrice du centre, est révoltée par l’idée de vendre son corps. Mais quand Yoshimi (Misako Tominaga) lui demande pourquoi la prostitution serait mauvaise, elle évite de lui répondre.


 


 

Kuniko est une jeune femme sûre d’elle-même qui refuse le rôle de victime. De même, les autres prostituées du centre ne sont pas unidimensionnelles. Yoshimi ne cesse de faire des fugues ; Kameju (Chieko Naniwa) s’indigne que la jeune femme continue à courir après un homme : "Nous, les femmes, devons être plus fortes que cela". Contrairement à Yoshimi, Kuniko est animée par le désir de changer de vie. Dans une lettre adressée aux autres détenues, elle se plaint de sa maigre paie et des longues heures de travail chez ses employeurs, tout en affirmant qu’elle est déterminée à ne pas abandonner son emploi afin de gagner son indépendance.


 


 

Dans la pépinière de roses du couple Shima, Kuniko semble trouver la chance de changer de vie. Non seulement ses nouveaux employeurs la traitent avec respect, mais elle tombe amoureuse de Tsukasa Hayagawa (Yosuke Natsuki) qui travaille également pour les Shima. Mais le jeune homme est le descendant d’un clan de samouraïs jadis puissant et sa mère considère sa relation avec Kuniko comme une mésalliance. Celle-ci disparaît, mais laisse une lettre que Madame Nogami lit à Tsukasa, prêt à rompre avec sa famille pour épouser sa bien-aimée. Dans cette lettre, Kuniko le remercie de sa gentillesse, chose qu’elle n’avait jamais connue auparavant, mais déclare qu’il lui faut du temps afin de devenir "une version plus pure de moi-même". Ce n’est que par l’amour de Tsukasa qu’elle aura compris combien son mode de vie était honteux. Les derniers plans la montrent avec un groupe de pêcheuses de perles, la mer évoquant purification et renaissance.


 

Kinuyo Tanaka n’échappe pas aux conventions morales de son temps, insistant sur la nécessité du sacrifice afin de retrouver son intégrité morale. Cependant, elle critique une société dans laquelle les femmes continuent à être exploitées. Montrant le groupe de femmes et sa solidarité - une des pêcheuses aide Kuniko à porter sur son épaule sa lourde corbeille - elle termine son film sur l’image d’une communauté de femmes fortes.

Andrea Grunert
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021

* L’actrice Kinuyo Tanaka (1909-1977) a joué dans 116 films. Elle a également réalisé elle-même 6 films, entre 1953 et 1962.
Cf. aussi "Kinuyo Tanaka réalisatrice", Jeune Cinéma n°408-409, été 2021

1. Les Femmes de la nuit (Yoru no onnatachi) de Kenji Mizoguchi (1948).
La Rue de la honte (Akasen chitai) de Kenji Mizoguchi (1956) est son dernier film, sélectionné en compétition à la Mostra de Venise 1956.


La Nuit des femmes (Onna bakari no yoru). Réal : Kinuyo Tanaka ; sc : Sumie Tanaka & Masako Yana ; ph : Asakazu Nakai ; mu : Hikaru Hayashi. Int : Hisako Hara, Akemi Kita, Chieko Seki, Masumi Harukawa, Sadako Sawamura, Chikage Awashima, Fumiko Okamura, Chieko Nakakita, Yôsuke Natsuki (Japon, 1958, 93 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts