par Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 360, été 2014
Sortie le mercredi 7 janvier 2015
Le film de John Boorman commence par une autocitation, la scène de Hope and Glory dans laquelle les enfants explosent de joie à l’annonce que leur école sera fermée à cause du blitz.
Queen and Country ouvre un nouveau volet dans la mémoire du cinéaste.
Cette fois nous sommes en 1952, alors qu’il fait son service militaire de deux ans, en pleine guerre de Corée qu’il passa planqué, avec son meilleur ami, comme formateur de jeunes recrues à la dactylographie.
Rien à voir ici avec un quelconque Bidasses en folie. Le ton est résolument comique et, dans le même élan, caustique à l’égard de l’institution militaire, avec des scènes et des personnages plus vrais que nature, un esprit frondeur foncièrement réjouissant dans la façon de parcourir ses souvenirs. Esprit que l’on retrouve dans son évocation du couronnement de la reine Elizabeth.
Cette période de sa vie correspond aussi à l’épanouissement difficile du sentiment amoureux, avec surtout la relation impossible entre le jeune Bill Rohan, de famille bourgeoise, et une femme de famille aristocratique qu’il appelle Ophelia, prénom chargé de références funestes.
Car le film contient aussi sa part de mélancolie, de tristesse. Celle contenue dans le rappel furtif de la relation de la mère avec celui qui fut son amant durant la guerre. Celle qui se manifeste à travers le personnage du sergent Bradley, officier à cheval sur les textes, qui passe son temps à coincer les deux amis.
Finalement, ce sont eux qui auront raison de son acharnement. Bradley se retrouve alors dans un hôpital militaire pour troubles mentaux. Bill le découvre et apprend qu’il ne s’est jamais remis du traumatisme de la guerre. L’interprétation du personnage de Bradley par David Thewlis rend son ambiguïté vertigineuse.
Le film se clôt sur une scène qui annonce le Boorman cinéaste.
À la fin de son service, Bill retourne dans sa famille, sur une île de la Tamise près des studios de Shepperton.
On a vu au début le tournage d’une scène de film de guerre devant la maison familiale. Bill filme sa compagne se baignant dans le fleuve et laisse sa caméra pour aller à son secours lorsqu’elle feint de se noyer. La caméra continue de tourner, pour finalement s’arrêter toute seule.
À la suite de la projection du film au Forum des Images, Boorman a utilisé une formule qui définit à merveille sa démarche : "Parfois l’imagination est plus fiable que la mémoire".
Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 360, été 2014
Queen and Country. Réal, sc : John Boorman ; ph : Seamus Deasy ; mu : Stephen McKeon ; mont : Ron Davis. Int : Caleb Landry Jones, Callum Turner, David Thewlis, Tamsin Eggerton, Aimee-Ffion Edwards, Pat Short (Grande-Bretagne, 2014, 114 mn).