home > Livres & périodiques > Livres > Brey, Iris (livre)
Brey, Iris (livre)
Le Regard féminin (2020)
publié le lundi 21 février 2022

par Fanny Pelinq
Jeune Cinéma n°406-407, printemps 2021

Iris Brey, Le Regard féminin. Une révolution à l’écran, éd. de l’Olivier, 2020.


 


Dans son livre, la chercheuse, enseignante en cinéma, critique, et réalisatrice, Iris Brey, nous incite à regarder les films avec un œil actif, conscient de la façon dont les images sont fabriquées et de notre place en tant que spectateur. Elle met en évidence le peu de place accordée à l’expérience féminine dans le cinéma, de ses débuts à nos jours, au profit d’un regard masculin omniprésent et dominant. Ce regard masculin, c’est le male gaze, théorisé par Laura Mulvey, en 1975, dans son article "Visual Pleasure and Narrative Cinema" et dont part notamment Iris Brey, pour réfléchir au regard féminin, le female gaze.

Le male gaze, fondé sur l’inconscient de la société patriarcale, véhicule un regard qui objectifie la femme et en tire la source du plaisir du spectateur. Iris Brey nous cite, par exemple, le film de Abdellatif Kechiche, Mektoub, My Love, (2017) où la caméra réduit les jeunes femmes à des objets sexuels à travers le regard du héros ou du cinéaste, de manière voyeuriste.
Le female gaze, lui, est un regard qui adopte le point de vue féminin pour nous faire ressentir l’expérience du personnage. Il nous sollicite en tant que spectateur pour nous faire ressentir l’expérience du corps féminin, grâce à la subjectivité ou par la distanciation.

En adoptant un tel point de vue, on filme les femmes sans en faire des objets, comme des sujets agissants et on partage avec les spectateurs leurs expériences singulières. Les notions de partage, de remise en question de la domination et d’interrogation sur la question du désir, sont au cœur du female gaze. "Le regard féminin propose une autre manière de désirer, qui ne se base plus sur une asymétrie dans les rapports de pouvoir, mais sur l’idée d’égalité et de partage". Les créatrices et créateurs qui adoptent ce regard le font avec conscience, ils nous font voir et "regarder en dehors du modèle dominant".
À travers de nombreux exemples, Iris Brey nous donne les clefs pour analyser les films afin de déterminer si l’on a à faire à un regard féminin, un regard masculin ou à un regard neutre.
En effet, il faut comprendre qu’un film female gaze, n’est pas forcément réalisé par une femme, il peut l’être par un homme ou par une personne non-binaire. Et inversement pour un film male gaze. L’identité du créateur n’a rien à voir avec le point de vue adopté. Tout comme les "portraits de femmes", ne dépendant pas non plus forcément du female gaze.
Pour savoir quel est le regard du film, il faut s’intéresser à la mise en scène, nous dit Iris Brey. Car c’est par des techniques de mise en scène, par des "ressorts formels et narratifs" que sont construits les regards différents, masculins et féminins. On doit notamment s’interroger sur la place de la caméra, sur la façon dont sont filmés les corps des femmes.

À la première apparition de l’héroïne, plutôt que de faire un mouvement panoramique vertical, de haut en bas, qui la sexualiserait, Patty Jenkins filme Wonder Woman (2017) en plan fixe, sortant de terre. Ainsi, l’attention du spectateur n’est pas focalisée sur son apparence. De même, des gros plans sur ses accessoires, plutôt que sur son costume et sur son corps, permettent de montrer sa puissance.
Plutôt que de filmer le désir avec un dominant et un dominé, dans un rapport inégalitaire entre l’artiste et son modèle, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma 2019) place ses personnages sur un pied d’égalité.
Ou encore, plutôt que d’érotiser une agression sexuelle ou un viol, comme c’est le cas dans la plupart des films - par exemple dans Mouchette de Robert Bresson (1967), l’héroïne se fait violer par un braconnier, se débat, et pourtant elle finit par passer ses bras autour de lui et gémit de plaisir -, La Servante écarlate (2017) nous permet de partager la subjectivité de l’héroïne, pour nous montrer la violence de l’acte. Tout comme le film Outrage de Ida Lupino (1950) représente et nous fait ressentir les conséquences du viol sur l’héroïne.

Alice Guy, Chantal Akerman, Jane Campion, Ida Lupino, Kelly Reichardt, Marie-Claude Treilhou, Sally Potter, Barbara Loden, Patty Jenkins, Debra Granik, Virginie Despentes, Jill Soloway, autant de réalisatrices auxquelles Iris Brey nous invite à nous intéresser, afin d’ouvrir et d’aiguiser notre regard. Son livre, très riche, nous permet de nous interroger sur les images que nous avons l’habitude de voir et sur l’impact qu’elles ont sur la société. C’est une invitation aux spectateurs, mais aussi aux créateurs, à ne plus être passif devant les films et à revaloriser les femmes et l’expérience féminine au cinéma.

Fanny Pelinq
Jeune Cinéma n° 406-407, printemps 2021


Iris Brey, Le Regard féminin. Une révolution à l’écran, Paris, éd. de l’Olivier, 2020, 250 p., 16 €



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts