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Archimandritis, Yorgos (livre)
Théo Angelopoulos (2021)
publié le lundi 24 janvier 2022

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021

Yorgos Archimandritis, Théo Angelopoulos. Le temps suspendu Institut Lumière / Actes Sud, 2021.


 


Ces cinq entretiens, menés par Yorgos Archimandritis pour l’émission À voix nue, de France Culture, ont été diffusés du 16 au 20 février 2009, trois ans avant la disparition accidentelle de Théo Angelopoulos, le 24 janvier 2012, au Pirée, alors qu’il tournait son film, resté inachevé, L’Autre Mer. Ces entretiens font l’objet aujourd’hui d’un précieux petit livre, intime par le format et la pagination, comme par la teneur des propos du réalisateur.
Seules une ou deux questions personnelles posées au début de l’entretien autorisent Théo Angelopoulos à s’aventurer dans sa propre histoire, depuis sa naissance le 27 avril 1935, juste avant la dictature de Metaxas, la première dictature vécue enfant qui prendra fin en 1941 avec l’invasion allemande.
C’est à cette date que remonte le souvenir le plus fort, le son des sirènes. Alors qu’il n’a que 6 ans, les Allemands étant entrés dans Athènes, il engage une course poursuite avec un jeune soldat allemand de 18 ans. Ces deux éléments biographiques de sa vie d’enfant sont déjà le son et l’image d’un film à venir, un film qu’il fera en 1984, Voyage à Cythère. Toute sa vie est ainsi ponctuée de réalisations de plans en échos et réminiscences de sa vie personnelle. En 1944, éclate la première guerre civile à Athènes, une guerre fratricide que le réalisateur évoque brièvement mais qui est très présente dans son film Eleni, la terre qui pleure. De la même façon, ses parents enlacés au milieu de la rue, au retour du père que l’on croyait prisonnier et perdu, est un plan de son premier film de 1970, La Reconstitution. Tout ce qui le trouble et l’émeut dans sa vie se transforme en matière filmique. La souffrance et la mémoire de cette souffrance devient image, car un film est une nécessité intérieure, un dialogue entre lui et le monde. Toute la problématique du cinéma de Théo Angelopoulos est là, entre le présent-passé, le passé-présent, dans l’immobilité du temps.

Il raconte sa vie à Paris, sans un sou, ses poèmes publiés dès l’âge de 16 ans, son séjour à la Cinémathèque française comme "déchireur des billets", le concours raté de l’Idhec et la passion joyeuse de ces années insouciantes où sa génération croyait changer le monde.
Au Japon, en visite chez son ami Akira Kurosawa, il voyage à Kyoto en souvenir de Mizoguchi, et au musée d’Hiroshima rencontre un Coréen en larmes d’avoir vu Le Voyage des comédiens (1975) et d’y avoir reconnu son histoire. Il relate les subterfuges pour parvenir à tourner ce film sous la dictature des colonels, en utilisant le langage du non-dit. Il évoque la musique, la peinture et les couleurs, le noir intense qui appelle le brouillard et les portraits de groupe, et sa profonde complicité amicale avec le scénariste de ses films, Tonino Guerra. Il aime à citer ses films, Le Pas suspendu de la cigogne (1991), Paysage dans le brouillard (1988), Jours de 36 (1972), Alexandre le Grand (1980), leurs couleurs, leurs cadres, leurs musiques.
Il émane de ce petit livre une sincérité et une émotion rares, à la hauteur du regret d’avoir perdu un réalisateur et un homme d’exception comme Théo Angelopoulos.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021


Yorgos Archimandritis, Théo Angelopoulos. Le Temps suspendu, entretiens, Lyon / Arles, Institut Lumière / Actes Sud, 2021, 80 p.



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