Annecy italien 2006, 26 septembre-3 octobre 2006, 24e édition
par Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°310-311 été 2007
Les esprits chagrins continuent bon an, mal an, à trouver que le cinéma italien n’est pas très inventif, manque somme toute d’intérê. Leur jugement hâtif va de pair avec leur méconnaissance de la production cinématographique transalpine.
La vingt-quatrième édition des Rencontres Cinéma Italien d’Annecy n’a pas eu, une fois de plus, de mal à prouver l’absolu contraire de ces paroles bien imprudentes : le cinéma italien d’aujourd’hui ne manque ni de dynamisme, ni de vitalité, ni d’inventivité, comme nous l’ont prouve cette année encore Gianluca Maria Tavarelli, Gianni Amelio, Mimmo Calopresti, Daniele Vicari, Emmanuele Crialese, l’acteur Kim Rossi Stuart avec son premier film comme réalisateur Anche libero va bene, et quelques noms nouveaux.
Le premier long métrage de Giorgio Diritti, Il vento fa il suo giro (Le vent fait son tour), Grand Prix mérité, apporte la preuve de cette qualité du regard des cinéastes italiens.
Auteur de nombreux documentaires depuis 1990, assistant de Pupi Avati, il a largement participé aux activités d’Ipotesi Cinema, l’école dirigée par Ermanno Olmi et Mario Brenta (cf. JC n° 173) dont nous avons apprécié le travail et l’approche humaniste des dures réalités de l’existence.
Dans un village, Chersogno, niché au pied des hautes montagnes qui prolongent le massif français du Mercantour, dans une de ces vallées de la province de Cuneo, où la langue occitane s’est maintenue, arrive, pour y vivre, une famille française : le père, Philippe, berger de son état, sa jeune femme, personnage attachant, silencieux, énigmatique dans son rôle assumé de mère de trois enfants. Autant Philippe communique avec la communauté villageoise qui l’accueille d’abord favorablement, autant sa femme est discrète, la démarche furtive, jusqu’à disparaître un après-midi avec un autre personnage un homme dont on ne saura trop rien, si ce n’est qu’il a une activité intellectuelle en ville, reçoit des jeunes filles toujours l’après-midi dans sa maison enfouie sous la neige.
On a tôt fait de penser à l’ambiance créée par François Leterrier dans son adaptation d’Un roi sans divertissement de Giono. Giorgio Diritti nous propose un récit où différents mondes se côtoient sans vraiment se rencontrer : celui de Philippe, droit, rigoureux, travailleur, dans son domaine de l’élevage et de la fabrication des fromages de chèvre, exemple pour éviter le départ des jeunes vers la ville, le monde des deux personnages cités plus haut, évoluant dans une sorte d’ouate cotonneuse similaire aux brumes enveloppant le village, enfin celui du village avec ses divisions quant à son attitude, ouverte ou hostile, envers les nouveaux venus.
Giorgio Diritti signe là un beau film, où se mêle itinéraires individuels et regard documentaire sur une vallée isolée de la Maïra.
Marco et Antonio Manetti s’essayent avec Piano 17 (17e étage) au thriller. Tous les ingrédients sont mis en place avec une référence, peut-être involontaire, au film de Louis Malle Ascenseur pour l’échafaud.
Des petits malfrats, dans un lieu banal, anonyme ont la bonne idée de vouloir faire sauter une banque afin de détruire des documents pour protéger une employée bien compromise. Le film s’étire un peu pour arriver à son terme, mais le suspense est garanti dans son dernier tiers avec la séquence obligée de la panne de l’ascenseur où se trouve le porteur de bombe.
Paolo Virzi est intervenu à la fois comme producteur, scénariste pour 4-4-2, il gioco piu bello del mondo. Dans le cadre du Centro Sperimentale di Cinematografia, il a permis à quatre jeunes cinéastes, de réaliser chacun un épisode sur le thème du foot-ball au quotidien : Michele Carillo, Claudio Cupellini, Francesco Lagi, Roan Johnson mettent toute leur energie pour nous proposer un film sympathique sur ce sport universel, tout en s’intéressant à des destins individuels - la femme de l’entraîneur, un gardien de but en fin de carrière, un jeune Africain sans-papiers, un autre jeune, Napolitain au jeu prometteur, avec Maradona comme idole, mais réfractaire aux règles du "collectif".
Carlo Luglio avec Sotto la stessa luna choisit un sujet à connotation sociale, en filmant à l’intérieur des camps de Roms installés dans la banlieue de Naples, à Scampia.
Nous suivons la vie quotidienne de deux jeunes gitans dans ces quartiers plus que défavorisés, sans eau, sans electricité, complètement insalubres. Ces jeunes sans avenir essaient de trouver des solutions, mais ils se heurtent, en plus de l’extrême précarité, à la loi de la Camorra, bien alimentée par ce terreau de désolation humaine. Le bilan est lourd socialement pour ces laissés pour compte. Partir est la seule solution pour vivre enfin normalement.
Carlo Luglio fait un constat rigoureux, accablant de cette situation de non-droit, d’extrême pauvreté de ces jeunes qui sont "aux marges mêmes de la marginalité".
L’adolescence en question
Trois premiers longs métrages ont beaucoup d’affinités, qui abordent, chacun à sa manière, les problèmes de la jeunesse - ici souvent issue des classes moyennes ou aisées - au moment du passage de l’adolescence à l’âge adulte dans les deux premiers, de l’enfance à l’adolescence dans le dernier.
Che ci faccio qui de Francisco Amato, est le plus réussi des trois films. Alessio, dix-huit ans, se retrouve au début de l’été, dans une situation difficile pour un jeune adulte. Recalé à l’équivalent italien du baccalauréat, il ne peut, faute de moyens, accéder à son rêve : voyager à travers l’Europe en compagnie de ses deux meilleurs amis. Les circonstances l’obligent à chercher des petits boulots, il échoue dans une petite station balnéaire, sur le littoral du Latium entre Rome et Naples, où il est embauché par Tonino, ancien ouvrier reconverti en patron d’un bar-restaurant sur pilotis. Très vite, Alessio se fait prendre au piège de la vie, qui lui réserve bien des surprises. Il en tirera une large expérience pour entrer dans le monde des adultes sans nécessairement aller très loin. Entouré de sa compagne Corinna, originaire de l’Est, de sa fille Martina, Tonino, personnage rude, exigeant, l’initie en prise directe sur la réalité quotidienne aux difficultés, aux aléas de l’existence.
Avec Notte prima degli esami (La Nuit d’avant les examens) de Fausto Brizzi, nous sommes toujours au lycée. Au début de l’été, dans les années quatre-vingt, un groupe de lycéens s’apprête à affronter les derniers obstacles de la longue scolarité. La démonstration est sympathique (le film a connu un large succès en Italie), mais l’accumulation de scènes convenues ne souligne pas assez la problématique définie plus avant.
Dans L’estate del mio primo baccio, de Carlo Virzi, Camilla est une toute jeune fille de quatorze ans douce, rêveuse, oisive, passant ses vacances au bord de la mer en Toscane, avec ses parents - dont Laura Morante - dans une villa confortable dotée d’une piscine. Elle s’éprend avec la froideur apparente des adolescentes d’Adelmo, beau jeune homme chargé de l’entretien de la piscine. La toute jeune actrice Gabriella Belisario s’impose dans le rôle d’une pauvre petite fille seule, un peu perdue dans le monde des grands, et qui éprouve les premiers émois du désir.
Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°310-311 été 2007