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Gray, Marianne (livre)
Jeanne Moreau, Le Tourbillon d’une vie (2017)
publié le dimanche 27 octobre 2019

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n°382-383, automne 2017

Marianne Gray, Jeanne Moreau, Le Tourbillon d’une vie, Nouveau Monde, 2017.


 


Peu de temps après la mort de Jeanne Moreau, Marianne Gray a mis à jour la biographie, dont elle avait publié différents états, sur l’une des plus grandes actrices françaises d’après guerre. Française ou plutôt, ainsi que le rappelle l’ouvrage, franco-britannique. Son père, originaire de l’Allier, tient le café La Cloche d’or à Montmartre, où il fait la connaissance de la danseuse anglaise Sarah Buckley, membre de la troupe des Tiller Girls, qui se produisent aux Folies-Bergère dans le spectacle de Joséphine Baker, Un vent de folie (1927) (1). Ce qui fait dire au fruit de cette rencontre : "Je suis née bénie, d’une mère anglaise. Le cadeau de la langue anglaise, c’est toute une culture. L’anglais m’a ouvert beaucoup de portes". Son père se méfie des saltimbanques tandis que sa mère l’encourage à prendre des cours de danse sans jamais contrarier la vocation artistique de la fillette.

L’auteure retrace la vie et la carrière de Jeanne Moreau en incluant les sources anglo-saxonnes (articles de presse, entretiens télévisés, témoignages de partenaires, etc.). Celle qui, de nos jours, passe pour une intellectuelle, révèle alors quelque erreur de jugement, quelque errement ou faiblesse. Il faut dire que les nanars ne manquent pas dans une filmographie débutée dès 1948, alors qu’elle tourne le jour et se donne en spectacle, au théâtre, le soir, à la Comédie-Française, au TNP ou dans le privé. Mal conseillée ou inspirée, elle rate certains rôles comme celui de Varinia dans le Spartacus de Stanley Kubrick (1960) ou de Mrs. Robinson dans Le Lauréat de Mike Nichols (1967). On pourra de même être surpris de son goût pour... l’astrologie holistique de Dane Rudhyar. La précocité de la comédienne (la plus jeune alors du Français) puis de l’actrice hyperactive explique en partie certains de ses choix. D’autres, en revanche, contribuent à sa gloire. Pour ce qui est de la scène, elle donne la réplique à Gérard Philipe dans la cour des Papes à Avignon dans Le Prince de Hombourg. (2) Elle obtient le rôle-titre de La Chatte sur un toit brûlant, mis en scène par Peter Brook. (3)

Son apparition dans Touchez pas au grisbi de Jacques Becker (1953) aux côtés du vieux Jean Gabin est remarquée. Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle (1958) en fait la vedette écranique que consacre Les Amants (1958) qui, en son temps, fait scandale. On la découvre chanteuse dans Jules et Jim (1962) et ses disques, avec les chansons de Serge Rezvani, remportent énormément de succès. Elle fait partie du monde de l’art de son temps, fréquente, travaille ou collabore avec Jean Cocteau, Marguerite Duras, Louise de Vilmorin, Jean Genet, Luis Buñuel, Orson Welles, Michelangelo Antonioni, Joseph Losey, François Truffaut, Tony Richardson, Peter Handke, Rainer Werner Fassbinder, Klaus Michael Grüber. Mentionnons aussi ses deux maris, Jean-Louis Richard et William Friedkin, et débutons, comme l’auteure, la "liste de ses chevaliers servants", Sacha Distel, Philippe Lemaire, Raoul Lévy, Louis Malle, Jean-Louis Trintignant, Pierre Cardin...

Avec son "chic français", son "élégance bourgeoise classique", pour reprendre les expressions de Marianne Gray, la comédienne présente une facette un peu plus mature que celle qu’incarne BB de la femme affranchie. Elle soutient Henri Langlois dans son bras de fer contre les technocrates du CNC, et elle signe aussi, avec Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig, Catherine Deneuve… le manifeste des "343 salopes" demandant la dépénalisation de l’avortement.
Elle critique "l’immoralité de la troupe" de la Comédie-Française mais également la prise de tête des adeptes américains de Constantin Stanislavski (cf. Burt Lancaster discutant "pendant une heure de sa motivation pour ramasser un cendrier"). Elle reconnaît l’influence de Jean Gabin sur sa technique à l’écran, ayant eu l’occasion d’apprécier de près son "art des gestes infimes et des actions à peine esquissées". Pour elle, "jouer n’est pas un métier, c’est un art de vie."

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n°382-383, automne 2017

1. Au début de sa carrière, Joséphine Baker dansait dans les revues des Folies Bergère, notamment la célèbre Un vent de folie (1927) avec sa jupe courte de bananes artificielles. Cf. le film muet La Revue des revues de Joe Francis (1927).

2. Le Prince de Hombourg de Heinrich von Kleist (1808), créée au Festival d’Avignon en 1951, mise en scène de Jean Vilar, musique de Maurice Jarre, décor de Léon Gischia.

3. La Chatte sur un toit brûlant d’après Tennessee Williams, créée au Théâtre Antoine en 1956, mise en scène de Peter Brook.


Marianne Gray, Jeanne Moreau, Le Tourbillon d’une vie, 1928-2017, Paris, Nouveau Monde éditions, 2017, 320 p., 19,90 €



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