par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n° 413-414, février 2022
Sélection officielle de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2021
Sortie le mercredi 2 mars 2022
Ou plutôt l’inverse tant ce film est inquiet. Inquiet des nouvelles technologies, des jeunes générations et de l’avenir.
Rien à foutre suit l’histoire de Cassandre, jeune hôtesse de l’air paumée d’une compagnie aérienne low cost. Le film est scindé en deux et toute la première partie s’attache à cette jeune femme au travail, son esthétique étant celle d’une caméra en mouvement à l’image de son héroïne voyageant d’un pays à l’autre. On suit donc les pérégrinations de notre hôtesse de l’air au travers d’espaces identiques les uns aux autres : intérieurs de cabines d’avions, aéroports uniformes, hôtels... Sensation est donnée d’une stagnation paradoxale, d’un mouvement ne menant à rien, car aboutissant toujours aux mêmes endroits et mêmes modes de vie.
Dépeignant un monde dans lequel les nouvelles technologies supposées être symboles de libertés sont en réalité oppressantes. Le mouvement de la modernité consistant à bouger ou communiquer perpétuellement, instantanément, est montré comme un vecteur à uniformisation faisant perdre toute saveur au monde ; impactant la psyché collective, diminuant la capacité de l’homme à l’empathie et appauvrissant son imaginaire.
L’amplitude du film est atteinte par la dichotomie au sein de sa structure, car là où cette première partie nous introduit dans un monde en mouvement perpétuel, la seconde nous plonge dans un monde statique : le milieu d’origine de Cassandre. Un monde là aussi froid et détaché, celui de la banlieue belge que l’on devine mise à mal par la crise et comme suspendu dans le temps. Raison pour laquelle, sans doute, la majorité des plans de cette partie semblent fixes et stables, bloqués dans la grisaille d’un monde figé par le deuil et le marasme économique. La scission en deux parties du film en devient symbolique, servant à dépeindre une humanité déchirée entre deux forces : le mouvement perpétuel et la stagnation permanente.
Adèle Exarchopoulos trouve ici son meilleur rôle depuis La Vie d’Adèle. (1)
L’intérêt de sa présence consistant en ce qu’elle est une actrice instinctive et spontanée : son utilisation dans un univers mécanique, technologique crée un contraste entre sa présence avide de vie et celui des deux milieux dépeints. Parce qu’elle est pourvue d’un corps ne demandant qu’à manger la vie, il est montré que malgré tout, l’émotion, grâce au corps et à son désir de vie, existe toujours.
Il y a toujours l’espoir d’une amélioration et de la possibilité de se libérer du carcan déshumanisant de nos sociétés modernes. Car si le film est triste et mélancolique, il n’est pas désespéré ni misérabiliste et laisse place à l’espoir. L’idée motrice étant de replacer l’humain et sa capacité à être ému au cœur des choses. Le film navigue entre vacuité de l’existence et émotions immanentes au corps humain. Il est émouvant, mais pas mièvre. Préoccupé, mais pas condescendant. En un mot : juste.
Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n° 413-414, février 2022
1. La Vie d’Adèle de Abdellatif Kechiche (2013).
Rien à foutre. Réal, sc : Emmanuel Marre & Julie Lecoustre ; sc : Mariette Désert ; ph : Olivier Boonjing ; mont : Nicolas Rumpl. Int : Adèle Exarchopoulos, Alexandre Perrier, Mara Taquin, Jonathan Sawdon (France, 2020, 112 mn).