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Lumière des étoiles mortes (la) (1994)
de Charles Matton
publié le vendredi 5 août 2016

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 226, février 1994
et
par Philippe Rousseau
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

Sortie le mercredi 12 janvier 1994


 

Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem que Jeune Cinéma avait déjà sélectionnés à leur sortie.


Charles Matton, qui a attendu vingt ans pour réaliser son troisième film (1), aborde avec La Lumière des étoiles mortes le genre périlleux de l’autobiographie. Qui dit souvenirs d’enfance dit souvent complaisance pour la nostalgie et étalage de sentiments. Écueil évité d’emblée par quelques images sèches d’animal mort. Mais c’est sur un autre écueil que manque de capoter le film, celui de la trop belle image.


 


 

Passe encore le choix de paysages magnifiques, de maison de rêve, de bibelots précieux, nous sommes dans la France des châteaux et non des chaumières. Mais la manière d’éclairer, de cadrer, de faire briller les contours, relève de l’esthétique de la vitrine. Et après un certain agacement, on devient inquiet. Cette joliesse pourrait bien abâtardir le sujet lui-même, l’évocation d’une éducation de guerre. Bien gentils ces Français qui "reçoivent" l’occupant en 1940, bien corrects ces Allemands vert-de-gris.


 


 


 

L’inquiétude se dissipe quand se précise le vrai thème du film, l’amitié qui lie un enfant "seul" et l’ordonnance du capitaine. Dans une maison trop pleine de femmes, au père distrait, l’Allemand figure un grand frère de rêve. Il écoute, fait des modèles réduits, tient des propos d’adultes, de ceux qui font se dresser sur la pointe des pieds et explique la fascination du miroir.


 


 


 

Autour de lui, les autres Allemands font un temps figures de clichés : le colonel violoniste, l’aumônier amateur de beaux chevaux, le nazi anti-intellectuel, les soldats paysans qui fraternisent aux cuisines et aux étages. Mais, petit à petit, les clichés s’effacent. Le colonel déplore l’invasion russe, l’aumônier est saisi par le désespoir, le nazi attend son heure. Charles Matton sait distinguer entre Allemands et Allemands, et son jeune intellectuel n’est pas qu’un bon copain pour l’enfant Charles, c’est lui qui à l’heure de l’horreur, perdu sur le front russe, témoigne dans ses lettres de ce qu’il ne faut pas ignorer.


 


 

Face à ces Allemands en pleine métamorphose, le réalisateur a campé des personnages français atypiques, une galerie de femmes un peu bizarres, comme la grande sœur mystique, la Juive terrorisée, les deux domestiques, l’une frustrée et l’autre bien en appétit. Un père énigmatique - Jean-François Balmer - silencieux, qui défend son jardin secret, la passion du jeu, et le directeur du casino qui joue au cynique et meurt en clown grandiose pour "couvrir" la fuite de la Juive.


 


 

On s’aperçoit en cours de film que la beauté des paysages prend un sens, une certaine abstraction qui fait d’une île heureuse, une image de l’ignorance. Le casino notamment, une apparition blanche au-delà de l’espace, figure un peu comme le navire de Amarcord (1973) un lieu de rêve, et tout cela rend plus insoutenable l’explosion de l’horreur, la flambée de la maison des voisins juifs quand elle éclate comme un cauchemar.


 


 

"L’étoile morte" qui donne son titre au film, c’est la conscience du jeune Allemand perdu sur le front russe, et sa "lumière" le témoignage de ses lettres que reçoit l’enfant Charles sans doute après sa mort.


 


 

Deux fois l’horreur est distanciée. Par les mots d’abord ; quand on lit : "J’ai vu écarteler une partisane entre quatre motocyclettes", c’est terrible mais ça reste des mots. Quand l’enfant découvre les lettres et"imagine" ce qu’elles disent, Charles Matton nous donne l’imaginaire enfantin, un monde blanc, rayé de rouge où sont massacrés les soldats, où le colonel déserte, son cheval pendu, où l’aumônier est saisi par le désir de meurtre, le nazi égorgé à coup de faux. Et deuxième filtrage, pour apprivoiser et faire sien le souvenir de l’ami, l’enfant organise une représentation avec son petit théâtre de soldats de plomb.


 


 

En fin de parcours, malgré l’esthétisme, on ressent La Lumière des étoiles mortes comme un bon et beau film, où le refus de l’oubli et le besoin de lucidité relèvent d’une double exigence privée et civique.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 226, février 1994

1. Charles Matton (1931-2008), est d’abord peintre et illustrateur. Il a réalisé 3 courts métrages entre 1965 et 1969, dont, notamment, Mai 68 ou les violences policières, co-réalisé avec Hedy Khalifat, restauré en 2017.
Son premier long métrage, en 1972, L’Italien des roses, a été sélectionné à la Mostra de Venise 1972, et a reçu le Grand prix de la section parallèle Perspectives du cinéma français au Festival de Cannes 1973.



Dimanche 9 janvier 1994, à l’Arlequin, rue de Rennes, séance du ciné-club de Claude-Jean Philippe que je fréquentais alors régulièrement. Ce jour-là, Charles Matton était présent. Jamais entendu parler. Il venait présenter son troisième long métrage, La Lumière des étoiles mortes. Ce film, vous ne l’avez probablement pas vu, pour cause de passage éclair dans les salles.


 


 

Un récit autobiographique. L’amitié entre un enfant et un soldat allemand qui occupait la maison de ses parents pendant la guerre. Sujet gênant… Est-ce la raison pour laquelle le film fut si timidement accueilli ? À moins que ce ne soit sa beauté visuelle ?
Un film situé sous l’Occupation se devait sans doute d’être moche… Si Andrée Tournès parle d’un "bon et beau film", la "grande" presse n’avait pas manifesté un enthousiasme débordant…


 


 

Et pourtant. Vingt ans après, son souvenir est toujours présent. Il me reste d’abord en mémoire un choc esthétique. Charles Matton était un peintre et il avait su inscrire son histoire dans un superbe écrin. Il avait voulu montrer au spectateur que, quelle que soit l’époque, l’enfance reste un moment à part dans une existence, celui des rêves possibles, où l’amitié avec un adulte intelligent et cultivé peut participer grandement à la construction de soi.


 


 

Cette relation, montrée de façon pudique, m’a bouleversé au point d’aller revoir le film quelques jours après, éprouvant une vraie difficulté à me séparer de ces personnages. La force de l’œuvre d’art dont vous êtes certain qu’elle s’adresse à vous, personnellement, et qu’elle ne cessera jamais de vous accompagner. Pas un chef-d’œuvre dûment répertorié, certes, mais ce film secret qu’on a envie de garder pour soi...

Philippe Rousseau
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014


La Lumière des étoiles mortes. Réal : Charles Matton ; sc et dial : C.M. & Sylvie Matton ; ph : Jean-Jacques Flori ; mu : Nicolas Matton ; mont : Catherine Poitevin ; déc : Jean-Louis Laher & Matthias Schmalzl ; cost : Isabelle Blanc, Nathalie Raoul & Verena Sapper. Int : Léonard Matton, Jean-François Balmer, Caroline Sihol, Richard Bohringer, Cécile Vassort, Thomas Huber, Burghart Klaußner, Dieter Kirchlechner (France, 1994, 110 mn).



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