Annecy italien 2008, 30 septembre-7 octobre 2008, 26e édition
par Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°322-323 printemps 2009
En ce début d’automne 2008, la 26e édition d’Annecy poursuit le travail en profondeur destiné à développer la connaissance et la diffusion du cinéma italien. Il revient à Pierre Todeschini (trop tôt disparu) et à Jean A. Gili d’avoir su patiemment, mais sûrement, élaboré un projet qui aujourd’hui débouche sur une manifestation très suivie par un nombreux public fidèle et passionné.
La tâche est d’autant plus complexe que le cinéma italien a du mal à être encore pleinement reconnu malgré ses qualités intrinsèques et le succès de films récents comme Gomorra de Matteo Garrone, ou de Il Divo de Paolo Sorrentino.
Aux cinéastes de toutes générations, au scénaristes, aux acteurs que nous avons découverts, ou redécouverts, à Annecy, il faut ajouter le nom de Toni Servillo, extraordinaire dans ces deux films cités plus haut.
Homme de cinéma mais aussi de théâtre, il a très récemment, en janvier 2009, mis en scène et joué le rôle principal de la trilogie de La Villégiature de Goldoni, à la maison de la Culture de Bobigny avec Teatri Uniti, un collectif napolitain fondé en 1987, dont il est un des membres.
Dans Lascia Perdere Johnny de Fabrizio Bentivoglio, Servillo campe, une fois de plus un étonnant personnage criant de vérité.
Faustino, 18 ans, vit en 1976 dans une ville de Campanie, à Caserta, non loin de Naples. À peine sorti de l’adolescence, cheveux très longs, allure nonchalante, pas très bien dans sa peau, plutôt sympathique, il a une attitude décalée. La vie s’écoule autour de lui sans qu’il y prenne garde. Insouciant, malgré une menace de taille : partir au service militaire, s’il n’obtient pas de travail dans l’immédiat.
Faustino a un atout : il est guitariste dans l’orchestre Falasco. C’est à ce moment qu’apparaît dans toute sa force Toni Servillo, il maestro Falasco, trompettiste virtuose, mais aussi concierge du lycée de la ville, souvent entre deux verres, n’acceptant pas du tout sa situation qui l’entraîne vers un état dépressif. Nous suivons les péripéties de cet orchestre de province dirigé par improbable chef de file de ces jeunes. Fabrizio Bentivoglio saisit parfaitement la relation humaine forte, d’affection et d’admiration entre un homme d’expérience, ravagé par la vie, devenu malgré tout le modèle à suivre et un jeune homme plein d’avenir. Faustino obtiendra grâce au maître un contrat pour aller jouer à Milan, rêve enfin réalisé mais avec une issue ambiguë : sur quelle place del Duomo a-t-il rendez-vous, celle mondialement connue ou celle de la petite ville de la banlieue milanaise ?
Il rabdomante de Fabrizio Cattini, joue dans le même registre, avec un personnage sensible, en dehors du temps, décalé des choses de la vie.
Felice, la quarantaine, vit en pleine compagne dans la région des Pouilles, plus précisément la Basilicate, où la nature est d’une étrange beauté, gorgée de soleil - d’où des problèmes de ressources en eau. Cet homme simple s’adonne à sa passion, la "rhabdomancie", recherche de l’eau avec une baguette de l’eau, autrement dit l’art du sourcier.
Dans cette région du Sud, l’eau est un enjeu de taille, d’où l’intervention de groupes mafieux pour contrôler sa distribution. De belles séquences où Felice cherche la source avec des gestes particuliers, voire mystérieux, donnent son charme au film. Harja, une femme venant de l’Est, otage des truands locaux, intervient alors perturbant quelque peu la vie de notre poète-sourcier. Mais au-delà de cette rencontre le film garde son intérêt par la présence de Felice et son attitude véritablement humaniste.
Avec All’amore assente, Andrea Adriatico nous introduit dans l’univers bien particulier d’un nègre (littéraire), fort bien interprété par un jeune acteur, Massimo Poggio.
Un soir de pluie incessante, Andres s’installe dans un appartement d’un immeuble cossu, occupant l’espace en familier du lieu. À partir de ce moment, nous le suivrons dans ses moindres déplacements, observant ses moindres gestes. Il écrit le discours d’un candidat lors d’une campagne électorale, candidat sans conviction aucune, mais qui promet beaucoup, jouant des mots prononcés et de sa séduction. Andres se prend au jeu du dédoublement identitaire, s’identifiant à l’homme qu’il sert, vivant en toute quiétude chez ce dernier, rentrant tellement dans le personnage de son employeur qu’il perd sa propre personnalité. Andrea Adriatico crée une atmosphère étrange autour de ce personnage insaisissable. Mais il aborde aussi des questions importantes concernant le fonctionnement du système politique dans une démocratie avec l’existence d’une équipe de professionnels, privilégiant l’image et la communication au détriment des actions à mener.
Riprendimi d’Anna Negri démarre sur un pari : filmer la réalité d’un acteur dans sa vie quotidienne pour aborder la fragilité économique que confère ce métier.
Le tournage du documentaire prévu est imminent avec la participation d’un jeune couple, Lucia et Giovanni l’acteur, quand brusquement ce dernier quitte sa femme dans un moment de grande angoisse existentielle. Devant cet imprévu douloureux, le documentaire se fera, mais sur un sujet différent : la fragilité du couple en ces temps difficiles, la précarités affectives minant les relations humaines dans un prétexte de précarité économique. Anna Negri, avec retenue et sens de l’observation, fait le constat peu réjouissant d’un mal de vivre des jeunes générations.
Parmi la section documentaire, très fournie désormais à Annecy, un titre notable : Dino Risi, le pessimisme joyeux de la comédie italienne, d’Emmanuel Barnault.
Celui-ci a déjà réalisé plusieurs films, dont un excellent portrait de Michael Lonsdale.
Il se renouvelle avec brio, en nous présentant Dino Risi, disparu il y a quelques mois et qui était venu à Annecy pour une rétrospective d’une dizaine de films en 2000. Risi se raconte, retraçant tout son itinéraire, la soixantaine de films réalisé depuis 1952, épousant l’histoire du cinéma italien depuis l’après-guerre et la fin du néoréalisme jusqu’à nos jours, lui qui fut un des maîtres de la comédie italienne.
Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°322-323 printemps 2009