par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe
Depuis trente ans, Thierry Michel parcourt la RDC, ex-Zaïre, gigantesque pays de l’Afrique des Grands Lacs où, à la suite du génocide rwandais, s’est perpétré un cycle de violences et d’exactions émanant de conflits mettant aux prises des réfugiés hutu, les populations locales, l’armée gouvernementale, des armées étrangères et des milices tenues par de sanguinaires seigneurs de guerre.
Dans une tentative de réconciliation après les deux guerres du Congo, les gouvernants ont tenté de dissimuler l’ampleur des massacres et d’intégrer les tueurs dans l’armée. Pacte faustien ayant mené le pays au bord de l’abîme, car ayant mis en place une spirale infernale : les assassins des guerres précédentes se mettant à assassiner une population en quête de justice ou d’une remise en cause du système étatique dictatorial et oligarchique.
Le film met ainsi en avant la question du besoin d’une justice dont l’absence, couplée à la cécité plus ou moins volontaire des instances internationales, encourage une culture de l’impunité. C’est autour d’une structure linéaire suivant l’histoire du Congo des trente dernières années, que s’articule cet Empire du silence.
Choix intelligent, car didactique et qui, tout en étant clair et concis, retransmet efficacement le caractère endémique, exponentiel, des atrocités commises. Atrocités d’autant plus insoutenables qu’elles sont relatées sobrement et de manière quasi clinique, presque placidement, par une infime parcelle des survivants des hécatombes. Ces témoignages servent d’épine dorsale au dispositif du film, consistant en un va-et- vient entre la parole des victimes et les images d’archives. Système d’alternance entre prises de vues du présent et du passé exacerbant d’autant plus l’importance de ces images, comme celle des témoignages, du fait qu’ils demeurent les seuls reliquats de crimes en passe d’être effacés et oubliés.
Ce travail de montage permet ainsi au film de transformer un regard originel neutre ou dominateur en un regard empathique, les images d’archives ayant été filmées parfois librement par des journalistes durant les opérations militaires ou, dans un élan d’orgueil, par les bourreaux eux-mêmes. Permettant ainsi au film d’être un moyen d’action, face au silence organisé par les tortionnaires et leurs complices, autant qu’une réponse esthétique à un regard dominateur et oppresseur.
L’usage de rares, très rares, prises de vues des grandioses paysages de la RDC, pleins de couleurs si typiquement africaines, comme celui, parcimonieux, d’une musique d’accompagnement, accentue et souligne sobrement la tragédie de ce pays et, surtout, de son peuple.
Évoquant des documentaires comme Shoah de Claude Lanzmann, ou Les Âmes mortes de Wang Bing, la sincérité de la démarche, comme la sobriété de l’approche, donne au film une véritable puissance humaniste menant à s’interroger sur le recours à la violence, l’injustice, l’inaction ou encore la banalité du mal.
Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe
L’Empire du silence. Réal, sc, mont : Thierry Michel (Belgique, 2021, 110 mn). Doccumentaire.