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De nos frères blessés (2020)
de Hélier Cisterne
publié le mercredi 23 mars 2022

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 23 mars 2022


 


Fernand Iveton est un ouvrier communiste vivant en Algérie avec sa femme d’origine polonaise, Hélène. Pieds-noirs pro-indépendance, il est arrêté le jour où il pose une bombe dans son usine et, pendant que son procès a lieu, Hélène se remémore des fragments de leur passé.


 

Ainsi, Hélier Cisterne structure son film en alternant flash-back et moments du procès, ce qui lui permet de faire monter efficacement la tension, comme de créer un suspens quant aux convictions et la nature de l’engagement de ses personnages, dans la lutte pour l’indépendance. On ne s’écarte qu’occasionnellement du point de vue du couple, pour aller interroger la folie idéologique ayant mené à la guerre et la perception d’un dénouement que l’on devine tragique contribue à retransmettre l’ambiance oppressante du début de conflit. L’oppression est également communiquée grâce à un rapport inverse se jouant entre les tons de couleurs chaudes, solaires, si typiquement méditerranéennes du milieu algérois, et les situations graves et glaçantes dépeintes.


 


 

À mesure que l’intrigue progresse, en plus du livre d’origine, c’est bien sûr l’esprit et la philosophie de L’Étranger de Albert Camus qui reviennent en mémoire. Il est présent durant le procès d’Iveton, derrière les plans montrant les plages algéroises et les pieds-noirs prenant des bains de soleil, comme derrière le sujet de la séparation travaillant les divers groupes d’individus représentés. Cette séparation immanente au système colonial, exacerbée par la guerre, est montrée comme progressant entre les Blancs et les Algériens, entre les pieds-noirs eux-mêmes (à mesure que la guerre se radicalise) entre les combattants pro-indépendance, entre hommes et femmes, mais aussi entre Fernand et Hélène.


 

Brossant le portrait d’une société en voie de fragmentation irréversible, De nos frères blessés tente de faire ce qui a été dénié à Fernand Iveton : lui rendre justice. Raison pour laquelle il s’attache à une certaine ambiguïté morale et souligne la complexité d’un monde où d’un côté du mur, les communistes asservissaient, pendant que de l’autre, ils dénonçaient la colonisation. Bémols toutefois : si l’ambiguïté des Européens est réelle, celle des Algériens l’est moins. La population "indigène" étant exclusivement montrée comme la victime de la colonisation, sans que jamais ne soit vue la violence du FLN. Ce qui tend à atténuer la complexité du film en lui donnant un aspect manichéen, à la différence de ce qu’a pu faire Gillo Pontecorvo dans sa Bataille d’Alger (1), qui, tout en étant particulièrement engagé contre la colonisation, n’hésitait pas à montrer l’horreur des attentats.


 

Malgré ce souci, De nos frères blessés dispose de véritables atouts, à commencer par ses deux formidables interprètes que sont Vincent Lacoste et Vicky Krieps, formant un couple offrant une étonnante alchimie. De plus, il rend compte d’un aspect de la guerre d’Algérie un peu oublié, celle des pieds-noirs idéalistes et contre la colonisation.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

1. La Bataille d’Alger (La battaglia di Algeri) de Gillo Pontecorvo (1966), sélectionné à la Mostra de Venise 1966, reçut le Lion d’or, malgré l’opposition de la délégation française, qui n’avait pas assisté à la projection. Il fut également nommé aux Oscars 1967. Le film sortit discrètement à Paris en 1970, et en province en 1971, mais provoqua des attentats. Il disparut donc des écrans français jusqu’en 2004, où il fut sélectionné au Festival de Cannes (Cannes Classic).


De nos frères blessés. Réal : Hélier Cisterne ; sc : H.C., Katell Quillévéré & Antoine Barraud, d’après le roman de Joseph Andras ; ph : Hichame Alaouié ; mont : Thomas Marchand, Marion Monnier, Lila Desiles ; mu : Émile Sornin. Int : Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Meriem Medkkane, Myriam Ajar (France, 2020, 95 mn).



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