par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°413-414, février 2022
Sortie le mercredi 30 mars 2022
Acteur depuis l’âge de 18 ans, Matthieu Rozé réalise ici son premier long métrage en adaptant le roman de Marguerite Duras, Les Petits Chevaux de Tarquinia, en Super 16, juste après le premier confinement et sous un soleil écrasant. Et il s’en sort plutôt bien avec l’aide de comédiens chevronnés qu’il appelle ses "Stradivarius", et George Lechaptois, le chef-opérateur du film de Rebecca Zlotowski, pour Une fille facile (2019), auquel Azuro fait penser par moments. D’autant que Matthieu Rozé a engagé le même acteur, Nuno Lopez, dans un rôle similaire.
Et puis, il lui a fallu beaucoup de soleil, car jaune le soleil, de bleu pour la mer et l’éternité rimbaldienne, et du rouge pour les incendies de forêt qui ravagent la montagne toute proche, pour le Campari qu’on boit à satiété comme dans le roman, et la passion, car, Duras oblige, c’est un film d’amour.
C’est un film très seventies, avec la sacralisation de ce petit groupe de sept personnes, dont un petit garçon et une ado, qui vivent en vase clos, sans repères, dans un maison de location, près d’un restaurant pas bien reluisant, où ils se plaignent toujours de mal manger, à quelques mètres de la mer. Ils s’ennuient, s’épient, et surtout se trompent.
Enfin surtout Sara qui le fait effrontément, presque devant ses amis, avec l’homme surgi de la mer, sorte de Neptune motorisé. Il n’a pas de nom, il symbolise le désir, l’amour fou et, peut-être, n’a-t-il jamais vraiment existé même s’il leur parle, même s’il partage leur loisir et leur ennui.
C’est de ce roman que viennent les expressions durassiennes devenues quasi mythiques, comme par exemple : "L’amour, il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, il n’y a pas de vacances possibles à ça", ou encore "Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter".
Le texte de Marguerite Duras est là, et bien là. Matthieu Rozé affirme qu’il a beaucoup insisté pour qu’il soit respecté à la virgule près. Non pas scandé, comme l’aurait exigé peut-être l’écrivaine, mais dit, comme pour un film censé se passer de nos jours. Ce qui ressort du film et qui est vraiment revendiqué par le réalisateur, c’est cette impression d’immense et insupportable chaleur qu’il est allé travailler jusque dans la bande son. C’est l’été, peu importe où, on est écrasé de chaleur, on ne fait rien, parce qu’on ne peut rien faire, pendant que le monde va peut-être aller vraiment à sa perte à cause de ces incendies et de la pollution.
"On est en vacances au bord de la Méditerranée, confie Matthieu Rozé, dans un pays non défini, il fait chaud, avec tous les stéréotypes des vacances : la plage, le café, la maison de location… Le titre participe de cette indétermination générique, "Azuro", écrit-il ainsi, n’existe dans aucune langue, mais il évoque l’Italie, l’été, la mer". Le farniente qui se dégage de toutes ces images et de leur immobilité paresseuse est un piège redoutable qui enferme les personnages dans une sorte de rêve embrumé.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 413-414, février 2022
Azuro. Réal : Matthieu Rozé, d’après le roman de Marguerite Duras, Les Petits Chevaux de Tarquinia (1953) ; sc : M.R. & Julie Peyr ; ph : Georges Lechaptois ; mont : Élise Fiévet ; mu : Kid Francescoli ; déc : Muriel Gilabert ; cost : Elisabeth Mehu. Int : Florence Loiret-Caille, Maya Sansa, Valérie Donzelli, Thomas Scimeca, Yannick Choirat, Nuno Lopes, Odilon Aubert Choirat, Antoine Coesens, Rose Timbert, Adam Bessa (France, 2021, 104 mn).