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Retour à Reims (fragments) (2021)
de Jean-Gabriel Périot
publié le mercredi 30 mars 2022

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2022

Sortie le mercredi 30 mars 2022


 


Spécialisé dans le documentaire, Jean-Gabriel Périot développe un style bien particulier en réalisant surtout des films de montage qui mettent en scène la violence et l’Histoire à partir d’archives. Certains de ses films ont marqué les esprits comme Eût-elle été criminelle… en 2006, un court métrage sur les femmes tondues à la Libération, ou Une jeunesse allemande en 2015, long métrage sur la première génération de la Fraction Armée Rouge (1), ou, en 2019, Nos défaites, long métrage interrogeant, à partir de remakes d’extraits de films post-68 joués par des lycéens, leurs rapports avec la politique. (2)


 


 

Cette fois, en utilisant certains fragments du texte de Didier Eribon, le réalisateur nous propose un film construit seulement avec des images de la classe ouvrière entre la Seconde Guerre mondiale et la fin des Trente Glorieuses, les années de jeunesse de l’auteur du texte. Jean-Gabriel Périot a lu le livre à sa sortie en 2009, mais c’est dix ans plus tard que la productrice Marie-Ange Luciani lui propose de l’adapter au cinéma. Il relit le texte et s’y retrouve en raison de ses origines modestes, même s’il est loin d’avoir grandi dans la même culture populaire que Didier Eribon.


 


 

C’est pour pallier un peu ce handicap (à ses yeux) qu’il choisit Adèle Haenel pour lire le texte en voix-off, parce que quelque chose dans sa voix lui apparaît comme "populaire" et qu’elle incarne une nouvelle histoire de l’engagement et des luttes, celle de sa génération. Sauf que les révoltes actuelles n’ont rien à voir avec les luttes des classes et que sa présence orale est loin d’être convaincante. Elle ânonne le texte, pourtant très évocateur, plutôt qu’elle ne l’invoque. On sent une certaine lassitude dans sa voix, peut-être voulue, en tout cas peu prégnante, et qui oblige le spectateur à redoubler d’attention pour comprendre ce qui est dit. Il peut en revanche se focaliser sur les images que le réalisateur a (bien) choisies, et qui donnent beaucoup de sens à toutes les révoltes populaires, trahies, étouffées, voire anéanties comme récemment celle des Gilets jaunes sur lesquels le film se termine.


 


 

La bourgeoisie en place ne lâchera jamais le morceau et un tel film n’y changera rien, ce qui expliquerait peut-être le ton désabusé de la narratrice. Le film est un assemblage d’images qui rendent le spectateur, pour peu qu’il soit proche du prolétariat, très triste, voire désespéré, puisqu’on y redécouvre toutes les luttes inutiles et bafouées comme dans un miroir de cauchemar. Depuis la grand-mère maternelle de l’auteur, tondue à la Libération, jusqu’aux corps fatigués et abîmés par la violence du capitalisme, c’est un lent cortège de désespérance. Et c’est ici que, malheureusement, le film perd tout son sens car il nous confronte encore une fois à notre petitesse, à nos espoirs avilis, à l’anéantissement de tout rêve par le capitalisme régnant.


 

Il ne reste plus que les yeux pour pleurer, surtout à la vue de tous ces corps exploités et exhibés, tel celui d’une vieille dame qui raconte qu’elle portait des sacs de pommes de terre de 25 kg sans jamais prendre de vacances. "Les corps des travailleuses et des travailleurs, ces corps marqués, me bouleversent parce que je les connais, déclare Jean-Gabriel Périot, ils font partie de mon quotidien, et parce qu’à travers eux j’entr’aperçois une vie précise, je la sens". On touche ici les limites du cinéma qui constate mais ne change rien à la vie, hélas, pour paraphraser, un peu, Woody Allen parlant de l’art.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

* Chez les Mutins de Pangée.

1. "Une jeunesse allemande. Retour sur les années de plomb et une certaine jeunesse allemande", Jeune Cinéma n°369-370, décembre 2015.

2. Nos défaites de Jean-Gabriel Périot (2019), Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019.


Retour à Reims (fragments). Réal, sc, mont : Jean-Gabriel Périot, d’après le livre de Didier Eribon ; ph : Julia Mingo ; mu : Michel Cloup (France, 2021, 83 mn). Documentaire.



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