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Kvedaravičius, Mantas (1976-2022)
Une vie, une œuvre
publié le mercredi 6 avril 2022

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


 


Le décès, le 2 avril 2022, du réalisateur lituanien Mantas Kvedaravicius a été annoncé à la fois par le compte twitter de l’agence de presse du ministère ukrainien de la Défense et sur la page Facebook du réalisateur russe Vitali Manski, fondateur du festival Artdocfest. (1) Le cinéaste lituanien tentait de quitter Marioupol, ville où il a témoigné, "caméra au poing" comme eût dit Jean Rouch, ou "reporter de profession" comme l’eût dit Michelangelo Antonioni, ceci jusqu’au bout. Il avait 45 ans.


 

De tels rapprochements sont-ils abusifs ? Pas vraiment.
Mantas Kvedaravicius avait lui-même étudié l’anthropologie. Titulaire d’un degree de l’Université de Cambridge, il s’intéressait particulièrement au chamanisme, à la cruauté, à la torture, ainsi qu’au dialogue entre les vivants et les morts - les seconds ne cessant de hanter les premiers. Par conséquent, une conception de l’histoire sur le temps long. Le contraire des actualités à flux tendu, en continu.


 

Ces traits caractérisant sa manière sont sans doute plus évidents dans ses deux films Barzakh (2011) (2), et Parthenon, sélectionné en 2019 à la Mostra de Venise (3), qui, pour le moment, n’ont pas été distribués en France.


 


 

Nous avions eu l’occasion de voir le splendide Mariupolis (2016) à la Berlinale, dans la section Panorama. La salle, où il ne restait plus une place libre, était pleine de ferveur. Mariupolis avait été ensuite programmé au Festival Jean-Rouch mais également à Lussas et aux Visions du réel de Nyon. (4)
Dans ce remarquable documentaire, la guerre est déjà présente. La plupart des scènes avaient été tournées en 2014, et le bruit des bombes constitue le basso continuo d’une extraordinaire bande-son. Mais c’est, comme chez Léon Tolstoï, Война и мир, La guerre et la paix.


 


 


 

On se livre à son sport préféré, la pêche à la ligne ; des cibistes testent leurs émetteurs et récepteurs ; un père joue avec son jeune enfant ; des collégiennes se préparent pour le spectacle de fin d’année. On assiste à quelques ravissantes danses comme à de puissantes engueulades, dans une queue, entre Russes et Ukrainiens.


 

Les images sont prises au plus près. Les lieux sont abstraits, métaphysiques, aucun signe extérieur ne permettant de les situer. Ce n’est qu’à la 59e minute que l’on entre dans l’antre du dragon : une aciérie mythique, obsolète.

Nicole Gabriel
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1. Artdocfest est le le plus grand festival de films documentaires en Russie. Il a lieu chaque année à Saint Petersbourg et à Ekaterinbourg. Il présente en compétition des films tournés dans la Fédération de Russie, ou ailleurs mais en langue russe. Les programmes hors compétition et rétrospectifs peuvent accueillir des films tournés en langues étrangères. Le dernier a eu lieu du 2 au 9 décembre 2021.

2. Le documentaire Barzakh de Mantas Kvedaravicius (2011) est son premier film. Il a été sélectionné et récompensé dans de nombreux festivals (Belgrade, Tallinn, Ljubljana, Vilnius), et à la Berlinale 2011, où il a reçu le Prix Amnesty International.

3. Parthenon (Partenonas, 2019) est le dernier film de Mantas Kvedaravicius, c’est une fiction. Il a été précédé d’une recherche ethnographique menée pendant 3 ans à Odessa, Istanbul et Athènes. Il a été présenté à la Semaine internationale de la critique de Venise en 2019. Dans un entretien, le réalisateur, visionnaire, parlait, cette même année, de ses projets, parmi lesquels un film de science-fiction sur une épidémie de peste bubonique. Mantas Kvedaravicius n’aura eu le temps de réaliser que trois films.

4. Le documentaire Mariupolis, a été sélectionné à la Berlinale 2016, et la même année, à Vilnius, Hong Kong et Stockholm. L’année suivante, il était en compétition au Festival Jean-Rouch 2017 au Musée de l’Homme à Paris, où il a reçu le Prix Mario-Ruspoli.

On peut voir le film en entier sur Arte (8 avril 2022-7 avril 2023)



Coda :
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Journal de Shi-Wei 2022 (mercredi 6 avril 2022)
 


 

Mantas Kvedaravičius (1976-2022) est mort le samedi 2 avril 2022, en tentant de fuir la ville de Marioupol. "Excuté", selon les médias occidentaux, reprenant la déclaration de la médiatrice des Droits de l’Homme au parlement ukrainien Lyudmyla Denisova : "il a été fait prisonnier par les Russes, il a reçu une balle dans la tête et une dans la poitrine. Les occupants ont jeté son corps dans la rue".


 

Dans sa courte vie, il n’aura eu le temps, de réaliser que trois films, tous sélectionnés et récompensés.

Les deux premiers sont des documentaires.

* Barzakh de Mantas Kvedaravičius (2011) suit les familles de Tchétchènes portés disparus pendant la guerre de Tchétchénie en 1999, entre l’armée fédérale russe et les indépendantistes, qui se termina officiellement par la prise de Grozny le 6 février 2000.
Le film, corproduit par co-produit par Aki Kaurismaki, a été sélectionné et primé au festival de Vilnius 2011, Kinopavaasaris.
Le festival 2022 (24 mars-3 avril 2022) a rendu hommage à l’enfant du pays.


 


 

* Mariupolis de Mantas Kvedaravičius (2016).
Le film a été tourné durant la guerre du Donbass, depuis 2014, la vie quotidienne dans le port de Marioupol sur la mer d’Azov, plus ou moins sous les bombes, une ville déjà, à l’époque, plus moins sinistrée.

Merci Cineuropa.
 

* Son troisième film est une fiction fantastique : Parthenon (Partenona, 2019).
L’histoire de Mehdi qui chercha la gloire et l’amour, et raconte sa vie avec une mémoire fantaisiste.


 


 


 



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