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Herpe, Noël (livre)
Les films me regardent (2021)
publié le dimanche 10 avril 2022

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

Noël Herpe, Les films me regardent, Paris, Hémisphères, 2021.


 


Nous avions laissé l’auteur, il y a deux ans, à l’issue de son périple dans une France profonde quasiment simenonienne, initié pour illustrer et défendre le souvenir de Henri-Georges Clouzot. (1)
Il n’a guère chômé depuis, comme le prouvent la publication du Sel du présent, édition chez Capricci de deux cents textes critiques signés Éric Rohmer, la réalisation de La Tour de Nesle, long métrage d’après la pièce de Alexandre Dumas, récemment sorti, le principal rôle de Noël et sa mère, film de Arthur Dreyfus, hybride régalant entre fiction et documentaire familial (2) et le présent ouvrage. Certes, celui-ci ne comporte pas de textes inédits, mais reprend des articles parus dans divers périodiques entre 2000 et 2020 - façon de compléter son Journal d’un cinéphile, publié chez Aléas en 2009.

Noël Herpe n’est pas un théoricien, mais un analyste. Rien qui ressemble ici à un manifeste, on n’est ni chez Jacques Rivette ni chez Jean Douchet, le temps en est passé de ces systèmes qui peuplent désormais les cimetières de l’histoire de la critique. Il nous avertit dès l’avant-propos, en définissant ses textes comme "une manière de renoncer à la critique de films pour être plus attentif à un mouvement moins conscient […] qui consiste à m’installer dans ce cinéma que j’aime, comme pour cogner de l’intérieur contre la vitre". Se glisser dans les images, de l’autre côté du miroir, comme le Buster projectionniste de Sherlock Junior, en devenant un personnage du film qui se déroule, le projet est joli. S’anéantir dans l’image, on est d’accord, chacun en a rêvé. On aimerait croire que c’est si aisément accessible.

L’auteur n’est pas un cinéphile tracassé par la modernité - "cette déformation personnelle qui m’incite à ne trouver de beauté que dans le passé" -, on ne lui cherchera pas noise là-dessus, au contraire. Son terrain d’élection, c’est le cinéma français des années 1930 à 1950, et on se souvient de l’excellent numéro René Clair de 1895 (n°25, septembre 1998) qu’il dirigea, ou bien de ses travaux sur Sacha Guitry.
La première partie de l’ouvrage, "Regards" est une promenade au pays du noir & blanc, via Marcel Carné, Jacques Becker, Jean Grémillon ou Henri-Georges Clouzot, évidemment. Le paysage est connu, et les films abordés tout autant, tous déjà éclairés dans les recoins, Thérèse Raquin, L’Amour d’une femme ou Antoine et Antoinette. On pense ne rien découvrir qu’on ne sache, et pourtant, leur approche est effectuée à travers un prisme si particulier qu’ils résonnent différemment : ainsi la mise en parallèle de Miquette et sa mère et de Occupe-toi d’Amélie montre comment H.G. Clouzot et Claude Autant-Lara, au même moment, ont réussi, en empruntant des voies différentes, leur régénération du Boulevard.

Mais c’est à propos des Dernières Vacances qu’il trouve les mots les plus justes pour décrire l’importance primordiale, primitive même, du film trop oublié de Roger Leenhardt, absorbé dans sa toute jeunesse et pour lequel il avoue : "J’entrais dans ce film comme on rentre en soi-même, comme on croit retrouver quelqu’un qui serait revenu d’une vie antérieure". » Chacun a éprouvé devant un film vu dans l’enfance, pas toujours le plus noble dans sa catégorie, cette reconnaissance, cet abandon, comme lors de la première lecture, plus tard, de Fermina Marquez ou de Juliette au pays des hommes - encore faut-il parvenir, comme le fait Noël Herpe, à rendre compte de cette dimension, et de ne pas se contenter du "C’est ainsi". Délabyrinther ses sentiments, comme disait Cyrano, n’est pas si simple.

Parmi les trois dialogues qui constituent la deuxième partie, on retiendra surtout celui qui concerne C’est l’homme, son court métrage, assez dérangeant, de 2011, parce que ses propos restent pertinents même pour qui ne l’a pas vu. On peut ne pas partager les fantasmes d’un auteur et s’intéresser à la façon dont il justifie leur mise en scène. Mais on reste plus dubitatif quant à son admiration pour le théâtre de Alexandre Dumas, dont ce que nous connaissons nous a rarement emportés - et l’on craint que son adaptation de La Tour de Nesle soit du même ordre que son précédent Fantasmes et fantômes (2017).

En revanche, notre adhésion aux quatre textes des deux derniers chapitres, dont deux ont été publiés dans La Nouvelle Revue française, est complète. Le cinéma y est présent, mais plus à la marge : le film de Claude Autant-Lara n’est évoqué qu’à la fin de la reconstitution de l’Affaire du courrier de Lyon, l’anti-héros de "J’aurais pu être" est un cinglé, assez pitoyable, de Éric Rohmer, les spectres de Gaby Morlay, de Odette Joyeux ou de Sacha Guitry traversent la longue chasse aux souvenirs d’enfance de "Avant les images". Sans pose ni déguisement, il y a là une tonalité tout à fait juste qui conclut sur une note haute un ouvrage à rebours du mainstream.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

1. Souvenirs / Écran, Jeune Cinéma n° 396-397, octobre 2019.

2. "Noël et sa mère (2019)", Jeune Cinéma n°412, décembre 2021.


Noël Herpe, Les films me regardent, Paris, Hémisphères, 2021, coll. Ciné Cinéma, 222 p.



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