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À l’ombre des filles (2021)
de Étienne Comar
publié le mercredi 13 avril 2022

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°415, mai 2022

Sortie le mercredi 13 avril 2022


 


Étienne Comar scénariste et producteur, notamment des films de Xavier Beauvois Des Hommes et des dieux et La Rançon de la gloire, réalise et produit son deuxième long métrage A l’ombre des filles après Django en 2017.
Luc (Alex Lutz) chanteur lyrique vient de perdre sa mère, sa voix et le goût de chanter. La proposition d’animer un atelier de chant dans un centre de détention pour femmes, lui redonne de la vigueur.
Trois sujets à mettre en scène pour le réalisateur, la dépression de Luc, la réticence des détenues et la pratique du chant comme thérapie et moyen de relier le tout. Dernier thème déjà abordé au cinéma, notamment entre autres et magnifiquement par Chantal Akerman, Alain Resnais et Peter Cattaneo.


 

A l’ombre des filles est une fiction, mais le documentaire s’immisce sans cesse au cours du récit. Caméra de proximité rivée sur les visages des filles, actrices professionnelles ou pas, révoltées ou séduites, elles chantent en prises directes, sans play-back. Rapidement au fil des leçons de musique, on s’attache à chacune d’elle sans les connaître, ni leur personnalité ni la cause de leur peine, seules quelques attitudes méfiantes, parfois agressives s’abandonnent lentement à la mélodie des voix et à l’effort physique qu’elle entraîne.
Entre les murs d’une prison moderne, Luc rêveur est rempli de compassion et de patience à l’égard de ces "filles de l’ombre". Les cours se succèdent, les échanges s’intensifient et dévoilent une part de l’intime.


 

Le spectateur est toutefois en attente permanente d’une rupture, d’un angle différent, d’un évènement inattendu capable de bouleverser la narration première. Tel le premier plan absolument remarquable qui indique cette volonté de surprendre, par la beauté plastique et métaphorique du psychisme de Luc - la tête enfouie sous les graviers noirs - une promesse pour la suite. Luc ne peut plus chanter et ce n’est qu’à la demande des filles, qu’il se lance enfin et interprète devant elles le "Cum Dederit" de Vivaldi, doublé par le contre-ténor Maximin Richard. De façon paradoxale et plaisante, cette écoute assidue résonne comme un long moment de silence. Comme si le chant répondait en écho à l’intérieur de soi.


 

De la même façon, lors du récital l’une d’entre elles Carole (Veerle Baetens) appelle en chantant à la rébellion.
Un bonheur s’empare des filles et le désir de chanter gagne progressivement l’ensemble des détenus. Étienne Comar a atteint son but.
Chanter et fuir dans un imaginaire/réel ou vers une réalité/imaginée, instant inespéré de dépassement de soi, de conquête sur la solitude et de communion humaine.
Étienne Comar a fait chanter les moines de Tibhirine dans un moment de cinéma exceptionnel, il fait chanter à présent "Les filles de l’ombre" pour garder vivante la dimension sacrée de la liberté.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°415, mai 2022


À l’ombre des filles. Réal : Étienne Comar ; sc : É.C. , Didier Vinson, Marine Ninaud, Marcia Romano & Raphaëlle Moussafir ; ph : Colin Lévêque ; mont : Monica Coleman ; mu : Arthur Simonini ; déc : Paul Rouschop ; cost : Oriol Nogues. Int : Alex Lutz, Agnès Jaoui, Veerle Baetens, Hafsia Herzi, Marie Berto, Fatima Berriah, Anna Nadjer, Gwen Berrou, Emmanuelle Bonmariage, Michèle Moretti, Laura Sepul, Jean-Michel Balthazar (France, 2021, 106 mn).



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