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Petit Criminel (le) (1990)
de Jacques Doillon
publié le mercredi 20 avril 2022

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°206, février 1991

Sélection officielle de la Berlinale 1991

Sorties les mercredis 19 décembre 1990 et 20 avril 2022


 


Jacques Doillon tourne beaucoup et c’est un cas relativement peu fréquent. Tout ce qu’il fait n’a pas la même densité, même si certains voient dans chacun de ses films un style, des constantes propres à le désigner comme un auteur cohérent. Contrairement à nombre de ses films récents, Le Petit Criminel est une œuvre à laquelle on adhère pleinement parce qu’elle crée un rapport au spectateur beaucoup plus fort et authentique que d’autres. Parce que le scénario est aussi davantage en prise sur des réalités reconnaissables alors que d’autres de ses films paraissent être des variations un peu vaines sur une psychologie exacerbée. Certes, ce film met en scène des individus confrontés à une situation paroxystique, à une crise qui les emporte au bout d’eux-mêmes et révèle des aspects secrets de leur personnalité.


 

Marc, le jeune adolescent au centre du film, commet un acte qui déclenche une série d’événements à travers lesquels nous apprenons à déchiffrer ce qu’il est vraiment. Le vol qu’il commet dans une parfumerie lance le film sur une dynamique qui ne relève en rien des stéréotypes ni du film policier, ni de la pure psychologie du petit délinquant.
Cet acte posé, tout s’enchaîne naturellement non sur des impératifs de suspense - on sait comment cette aventure va finir - mais autour de quelques personnages happés dans une course folle. C’est d’abord le flic qu’il prend en otage, puis sa sœur qu’il n’a jamais vraiment connue, pour retourner à la mère. Ce mouvement que Marc imprime au film atteint directement les personnages du flic et de la sœur qui vont être amenés à transformer la trajectoire de leur vie personnelle pour aller au fond d’eux-mêmes. Le flic perd petit à petit les comportements de sa fonction pour révéler une autre humanité. La sœur abandonne sa petite vie pour essayer de sauver ce frère qu’elle croyait avoir oublié.


 

La force du film de Jacques Doillon tient d’abord à cette tension du scénario qui gomme tout le superflu pour atteindre à l’essentiel. Elle tient aussi à la façon dont les acteurs font exister leur personnage, de l’intérieur. Certes les situations de crise les amènent à exploser, à se précipiter vers les gouffres qui les cernent. Mais la violence de ces situations correspond toujours à quelque chose de vrai. À tel point qu’on en oublie souvent le travail de cinéaste du réalisateur, qui pourtant constitue l’élément le plus important de la qualité du film. On a souvent tendance à dire que c’est là la preuve du talent. Mais rarement il a été aussi manifeste dans son œuvre.


 

Cette maîtrise tient d’abord à la direction d’acteurs. Richard Anconina trouve ici un de ses grands rôles. C’est tout de même la prestation de Gérald Thomassin (Marc) qui imprime sa marque. Il porte la tension du film en allant au bout de son personnage. Sa gestuelle (son rapport au revolver par exemple), la façon dont il tient la distance d’un dialogue à l’intérieur d’un plan long prouvent combien le travail de mise en scène a pleinement atteint les objectifs du scénario.


 


 

Et puis on pourrait analyser longuement le travail de la caméra. Par exemple la façon dont Jacques Doillon utilise l’intérieur de la voiture dans laquelle tant de choses se jouent entre les trois personnages tout au long de leur itinéraire. Elle pourrait être une prison pour les acteurs et pour la caméra. On s’y sent pourtant en pleine intimité au sens où cet espace, pourtant limité, nous permet de nous extraire physiquement du monde extérieur tout en nous renvoyant la véritable dimension des personnages.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°206, février 1991


Le Petit Criminel. Réal, sc : Jacques Doillon ; ph : William Lubtchansky ; mont : Catherine Quesemand ; mu : Philippe Sarde. Int : Richard Anconina, Gérald Thomassin, Clotilde Courau (France, 1990, 100 mn).



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