Annecy italien 2009, 29 septembre-6 octobre 2009, 27e édition
Quelques visages mémorables
par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°328 décembre 2009
Le cinéma italien est un merveilleux vivier d’acteurs et d’actrices inconnues de notre côté des Alpes.
Certes, Giovanna Mezzogiorno, Jasmine Trinca, Valeria Golino, Maya Sansa, Stefano Accorsi sont devenus des visages familiers.
Mais qu’évoquent, pour les spectateurs français qui ne fréquentent pas Annecy, les noms de Valentina Lodovini, Alba Rohrwacher, Valentina Solarino, Luca Argentero, Neri Marcoré ?
Valerio Mastandrea, grâce à Non pensarci de Gianni Zanasi, et aux deux films de Paolo Virzi, Tutta la vita davanti et Napoléon et moi, a franchi nos frontières.
Mais on attend encore l’épatant Notturno bus de (Davide Marengo), apprécié ici en 2007.
Ainsi que les deux prestations de Mastandrea de cette année : Good Morning Aman de Claudio Noce,, et surtout Giulia non esce la sera, de Giuseppe Piccioni. Ces deux films risquent fort de demeurer inédits en France, malgré la présence de la Golino dans le second. Ce serait dommage, car Mastandrea, est aussi crédible en loup solitaire dans le film de Claudio Noce que dans Giulia..., en romancier choyé.
Heureux, doté d’une superbe épouse et d’une fille déroutante d’intelligence, en route pour un prix littéraire, rien ne le destine à basculer dans le monde parallèle où évolue Golino (magnifique, comme d’habitude), étrange professeur de natation à mi-temps, qui retourne chaque soir en prison. L’intérêt professionnel (quel personnage de roman que cette captive) se transforme par glissements en relation intime, vouée à l’échec et à la perte.
Le scénario, très écrit et qui utilise toutes les pistes qu’il a lancées, parvient à surprendre malgré son canevas balisé. Si ce qui survient était prévisible, c’est toujours en décalage et jamais au moment où on l’attendait. Tout est hors clichés : l’épouse est amoureuse et compréhensive, la fillette lucide, la rencontre de la prisonnière et de sa propre fille, promesse de rédemption, est une catastrophe, et le finale est dramatique.
Ajoutons que le film regorge de traits succulents (la rivalité avec l’autre écrivain promu, l’adolescent capable de disserter sur le paratexte dans les chansons de Richard Anthony), afin d’accentuer chez le lecteur le regret de ne jamais voir cette Giulia…
Nous avions découvert à Annecy, en 2008, Valentina Lodovini en institutrice comme on aimerait en avoir eues plus souvent ( La giusta distanza de Carlo Mazzaccurati).
Cette année, elle n’a qu’un rôle peu décisif dans Fortapasc, honnête polar antimafieux de Marco Risi (qui a connu le handicap, quoique tourné avant, de sortir après Gomorra).
En revanche elle éclate dans Generazione mille euros de Massimo Venier, film, comme son titre l’indique, générationnel.
Le film est bien exactement de son temps, avec ses héros de moins de 30 ans, surdiplômés, précaires à 1000 euros mensuels en CDD.
À partir de cette base, Venier brode gentiment et justement, entre intermittences du cœur et sommeil de la raison, sur ces jeunes, paumés et lucides, déguisant leur amertume sous des propos qui mêlent constamment vraie drôlerie et désespoir au second degré.
Quelle que soit la situation, Lodovini emporte le morceau, parée de cette grâce botticellienne saluée par ses colocataires, et on n’en finirait pas d’énumérer les instants suspendus - quasiment rien, le découpage d’un plâtre, une promenade en Vespa, des lèvres qui effleurent l’eau d’un bain - que lui a tricotés un réalisateur manifestement complice. Comme dans le paragraphe précédent, on peut hélas parier que peu de spectateurs français profiteront de ces épiphanies.
Mais la révélation de la semaine fut la découverte d’une actrice italo-polonaise, Kasia Smutniak, entrevue l’an dernier dans Caos calmo d’Antonello Grimaldi.
Dans Tutta colpa di Giuda de Davide Ferrario, elle réussit à dompter, munie de son sourire, d’une fossette, d’une chemisette écossaise et d’un pantalon pat’ d’eph’ de lin, trente prisonniers de haute sécurité.
Une romance, certes, mais que l’on savoure tout au long des 102 minutes que dure le film. Ferrario, toujours attiré par les mondes clos (rappelons-nous le musée du Cinéma de Turin dans Doppo mezzanotte), réalise ici une sorte d’anti-Prophète : un film de prison joyeux.
Sans démagogie ni facilité, et avec une forte impression de crédibilité, justifiée par le fait qu’il a tourné dans une vraie prison avec de vrais prisonniers, tentative peu fréquente qui lui permet d’échapper aux stéréotypes. Et voir ces méchants, adeptes de la gonflette, chanter et danser sous la houlette de la frêle-dynamique-émouvante-débordante-éblouissante Kasia, théâtreuse nommée animatrice culturelle et qui convainc les détenus, à elle confiés, de monter une comédie musicale, est savoureux. L’argument est astucieux, les interrogations sur la Passion (c’est le sujet du musical) n’ont rien d’oiseux, les discussions de Kasia avec l’aumônier et le directeur de la prison sont extrêmement bien écrites. Tous motifs qui expliquent pourquoi il y a peu de chances de voir le film sur nos écrans.
Pas d’acteurs à découvrir dans Lezione 21, de Alessandro Baricco. John Hurt, Noah Taylor et Leonor Watling ontt chacun une filmographie déjà chargée.
La surprise vient du réalisateur, Alessandro Baricco, que l’on n’attendait pas derrière la caméra, après tant d’années passées devant son bureau d’écrivain.
On le connaît comme un musicologue affûté et un créateur d’images peu oubliables qui débordent aisément de ses pages (voir Novecento, City ou Soie).
Mais on ne le croyait pas capable d’atteindre d’emblée un tel niveau, les films d’écrivain étant le plus souvent des objets de franche rigolade - voir les produits signés R. Gary, F. Sagan, B.-H. Lévy, M. Houellebecq ou Y. Moix.
Impossible d’entrer dans les détails d’une œuvre aussi riche, multipliant les niveaux narratifs et les digressions (sans que jamais le fil ne se perde), étincelante d’intelligence et d’humour décalé - et d’une invention visuelle constante.
La démonstration imparable distillée par le professeur Mordran Kilroy sur la surestimation de la Neuvième de Beethoven, étayée par les commentaires des premiers auditeurs, les interventions des protagonistes, la mort d’un violoniste dans un village autrichien et les réactions de ses propres étudiants constitue un petit régal, digne des premiers films de Peter Greenaway, lorsqu’il ne se prenait pas encore pour lui-même. Lezione 21 ayant été un échec en Italie, le renom de son auteur ne suffira sans doute pas pour qu’un distributeur français s’y intéresse - voir les paragraphes précédents.
Que les Rencontres d’Annecy soient remerciées de nous offrir des perles de cette pureté.
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°322-323 printemps 2009