Annecy italien 2010, 28 septembre-5 octobre 2010, 28e édition
par Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°336-337 avril 2011
Dès la fin de l’été, Annecy cinéma italien se met en place dans l’excellent espace Bonlieu scène nationale, dirigé par Salvador Garcia, ainsi que dans les salles associées de la ville et de la région, au bord du si beau lac au pied des montagnes. Dans ce cadre plein de charme, l’équipe efficace, chevronnée, animé par Jean. A. Gili, délégué général avec au secréterait général Sonia Todeschini - sous la présidence d’honneur d’Ettore Scola auquel on rendait un chaleureux hommage - a poursuivi son travail de découverte et de combat pour présenter la production cinématographique italienne récente.
Le quattro volte de Michelangelo Frammartino, mérite amplement le Grand prix obtenu cette année.
Nous avions découvert son auteur en 2003 avec son premier long métrage, Il dono, déjà un beau film, silencieux, sur la vie au quotidien d’un petit village calabrais, déserté peu à peu par ses habitants.
Avec Le quattro volte, il poursuit son séjour dans l’Italie du Sud, en Calabre, dans un village où l’activité se maintient quelque peu au rythme des quatre saisons. Dans une nature sauvage, aux sombres forêts, nous suivons, jusqu’à sa mort, un vieux berger dans ses gestes quotidiens. L’absence totale de paroles et de commentaire amplifie la beauté ; nous sommes plus aptes à entendre dans le silence de la nature, les bruits les plus faibles : le souffle du vent dans les arbres, les clochettes des animaux…
Le talent de Frammartino est de faire, de toutes les situations présentes, de petits drames ou des moments d’humour : le chevreau perdu dans les herbes criant son désespoir, cherchant en vain le troupeau, ou encore le chien du village enlevant la pierre, bloquant la roue d’une voiture, dans une rue en pente provoquant quelques dégâts. On peut multiplier des exemples dans ce film, à la fois documentaire et teinté de fiction, mais aussi étude du milieu rural, avec les activités subsistants dans la région, comme celle des charbonniers, confectionnant le charbon de bois à l’ancienne, à l’orée du village, au milieu de grandes volutes de fumée bleutée. Cette volonté du cinéaste de travailler sur les couleurs, de faire de plusieurs plans de véritables tableaux d’une grande limpidité, de jouer sur la palette des ombres et des lumières, est manifeste. Comme l’est son choix de montrer de belle manière, la vie des habitants au rythme des saisons, de la procession religieuse à la fête locale, avec son immense mât de cocagne. Le film est sorti depuis à Paris, et c’est heureux.
Alza la testa d’Alessandro Angelini, aborde la relation complexe filiale dans le contexte douloureux du départ de mère, laissant Mero élever seul son fils Lorenzo, avec toute la souffrance due à la rupture.
Sergio Castellito, avec conviction, le ton juste, son habituelle présence, campe le personnage de cet ouvrier spécialisé. La vie quotidienne s’écoule sans trop de heurts jusqu’au moment où Lorenzo exprime un désir certain d’autonomie en rencontrant Anna. Détruit affectivement, le père prend en charge l’avenir de son fils, pour en faire un boxeur sachant éviter mais aussi rendre les coups pour se défendre dans l’existence. Mais l’aveuglement, le manque d’ouverture de Mero aboutiront à un échec complet.
Avec Diciotto anni doppo, nous restons dans la problématique des familles. Premier long métrage d’Edoardo Leo, tourné avec un petit budget, il met en scène deux frères que tout sépare depuis dix-huit ans, l’un trader à Londres, l’autre resté au pays pour travailler dans le garage paternel. La mort du père les rapprochera, lors d’un voyageà deux en Calabre, sur la tombe de leur mère disparue dans un accident de la route avec la voiture réparée par son mari. La situation de violence entre les deux frères, leur rencontre provoquée par le deuil, leur lente réconciliation sont bien restituées, grâce à la justesse de jeu des acteurs.
Il primo incarico de Giorgia Cecere - élève de Gianni Amelio et d’Ermanno Olmi à Ipotesi cinéma - se passe en milieu rural, dans les Pouilles dans les années cinquante.
Nena, de condition modeste, obtient son premier poste d’institutrice dans un village reculé, en 1953. Elle sera vite confrontée à la vie particulière dans le Mezzogiorno de l’époque, où la vie était difficile, dure pour ses nombreux paysans sans terre. C’est dans ce contexte qu’elle arrive, laissant derrière elle une histoire d’amour naissante avec un jeune homme issu de la haute bourgeoisie locale ; mais la relation sentimentale s’arrête court, à cause de la différence de classe des deux amoureux. Nena surmontera les embûches de son nouvel univers, en s’intégrant à ce monde paysan, se faisant admettre par les enfants, si déshérités. Film tout en douceur, à l’image de Nena, apportant la connaissance donc l’ouverture au monde, renforçant les liens entre les êtres. Giorgia Cecere, à travers ce destin individuel, nous propose un beau portrait de femme, et au-delà la condition de la femme dans l’Italie du Sud d’après guerre
Hai paura del buio de Massimo Coppola, se passe aujourd’hui dans le milieu industriel, en l’occurrence à l’usine Fiat de Melfi, petite ville des Pouilles.
Eva, jeune Roumaine, a quitté son pays pour Melfi, dans l’espoir d’être embauchée à l’usine Fiat. Sa rencontre improbable avec Anna, une ouvrière de son âge, va changer le cours des événements. Anna, un peu renfermée, vit chez ses parents où Eva vient s’installer. C’est d’une manière très subtile, tout en discrétion, que Massimo Coppola nous parle de ces deux femmes, l’Italienne et la Roumaine, aux univers et aux désirs apparemment si différents, mais en réalité similaires, dans leur angoisse du noir, symptôme de ce que leur propose la société italienne contemporaine. La peur de l’étrangère est annihilée par la relation chaleureuse et affectueuse entre les deux femmes.
Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°336-337 avril 2011