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Agent trouble (1987)
de Jean-Pierre Mocky
publié le mercredi 4 mai 2022

par René Prédal
Jeune Cinéma n°184, novembre 1987

Sortie le mercredi 19 août 1987


 


Second Mocky 1987, Agent trouble est sorti sur les écrans alors que le tournage des Saisons du plaisir s’achevait déjà (1). Entre la caricature iconoclaste du Miraculé (2), et le comique égrillard de l’opus3 attendu pour la fin de l’année, ce polar aux limites du fantastique, superbement photographié par William Lubtchansky, opérateur de Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub, Jacques Rivette, et interprété par une Catherine Deneuve qu’une perruque rousse, des lunettes et des vêtements peu seyants ne parviennent pas à banaliser, adopte un style sobrement glacé pour décrire le complot du silence et du mensonge.


 

Le héros est cette fois un de ces agents très spéciaux au service de la Raison d’État. Certes, aucun spectateur ne comprend à la fin pourquoi les cinquante touristes ont été sacrifiés car Jean-Pierre Mocky se moque de l’anecdote. Le roman de Malcolm Bosse lui fournissait pourtant une explication assez terrifiante concernant la recherche d’armes bactériologiques, mais le réalisateur préfère prévenir en cours de route qu’il n’y aura pas de révélation de dernière minute en faisant dire à Victorien que dans l’affaire Greenpeace, personne n’avait rien compris non plus..., remarque effectivement plus inquiétante encore que le plus terrible secret.


 

Jean-Pierre Mocky privilégie le mystère des images aux dépens du rationalisme à la Sherlock Holmes. Un car fantôme avec sa cargaison de cadavres est arrêté sur une route neigeuse d’Alsace à la tombée de la nuit ; un étrange routard au long manteau noir marche dans le brouillard. Plus tard, un élevage d’aigles dans les douves d’un vieux château sera le théâtre d’une tentative de meurtre tandis qu’une centrale électrique abandonnée se transforme en institut agronomique où d’étranges expériences sont tentées sur des souris. Le Georges Franju des Yeux sans visage n’est pas loin (3).


 

L’auteur "habille" de baroque les situations les plus éculées pour leur donner une autre dimension. Ainsi l’agent trouble est antiquaire et couche avec sa vendeuse qui boite. Mais il est aussi amateur d’horribles calembours dignes d’un courtier en vins. De ces décalages entre sa raison sociale, ses activités clandestines, sa déficience cardiaque et sa vraie nature naît une personnalité déconcertante génératrice de malaise. Quant au rendez-vous entre le voleur d’occasion et l’agent secret, il tourne à la farce macabre en se déroulant dans une incroyable boutique de masques plus sinistres que comiques, et qui ne font d’ailleurs rire personne. Les deux hommes s’observent derrières leurs faces de plastique bariolé et le manteau bonne coupe d’Alex l’emporte aisément sur la vaste pelisse de Victorien qui sera tué, puis écrabouillé par un train.


 

Le démiurge qui tire les ficelles à l’ombre des lambris ministériels est d’ailleurs interprété par Jean-Pierre Mocky lui-même, impassible et compassé, comme extérieur au déroulement d’une action dont il néglige les détails. De fait, Agent trouble est un film moins décapant que d’habitude, plus retenu aussi au niveau des personnages pittoresques comme Dominique Lavanant, veuve à la recherche d’un homme dans le voyage organisé, ou Sylvie Joly, adepte des petits plats cuisinés.


 


 

Mais cette sagesse relative et cette recherche esthétique, associées à une maîtrise diabolique du récit - voir comment il joue de Tom Novembre, d’abord sympathique puis de plus en plus irritant jusqu’à ce que le scénario le fasse salement disparaître - apporte à la narration les fascinantes dérives de suspens, de sens et de vraisemblable.


 

C’est là qu’il faut justement chercher le prix de cet Agent trouble nageant dans les eaux fangeuses du polar. Certes l’auteur aurait pu tirer son histoire vers la politique, le burlesque ou la série B, mais il a préféré en décanter chaque composante pour distiller une inquiétude poisseuse forçant à voir autrement les choses et les gens.

René Prédal
Jeune Cinéma n°184, novembre 1987

1. Les Saisons du plaisir de Jean-Pierre Mocky est sorti le 10 février 1988. C’est le dernier film de Charles Vanel (1892-1989), entouré d’un casting impressionnant.

2. Le Miraculé de Jean-Pierre Mocky (1987), avec Michel Serrault, Jean Poiret et Jeanne Moreau, a été tourné à Lourdes, partiellement parce que sans autorisation, mais les décors ont été minutieusement reconstitués.

3. Les Yeux sans visage (1960) est le deuxième long métrage de Georges Franju. Jean-Pierre Mocky a collaboré à son premier film, La Tête contre les murs (1959), en adaptant le roman de Hervé Bazin, paru en 1949. Il a également joué dans le film.

* On trouve les films de Jean-Pierre Mocky, réédités en blu-ray, chez ESC Distribution.


Agent trouble. Réal, sc : Jean-Pierre Mocky, d’après l’œuvre de Malcolm Bosse, The Man Who Loved Zoos (1974) ; ph : William Lubtchansky ; mont : J.P.M. & Bénédicte Teiger ; mu : Gabriel Yared ; déc : Michèle Abbé-Vannier ; cost : Caroline de Vivaise. Int : Catherine Deneuve, Richard Bohringer, Tom Novembre, Dominique Lavanant, Sophie Moyse, Kristin Scott Thomas, Héléna Manson, Hervé Pauchon, Charles Varel, Maxime Leroux, Sylvie Joly, Pierre Arditi, Antoine Mayor, Dominique Zardi, Isabelle Mergault, Jacques Boudet, Jean-Pierre Mocky (France, 1987, 90 mn).



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