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Tranchées (2021)
de Loup Bureau
publié le mercredi 11 mai 2022

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n° 415, mai 2022

Sortie le mercredi 11 mai 2022


 


En 2021, Loup Bureau a suivi au plus près une unité de soldats ukrainiens sur la ligne de front du Donbass. Le réalisateur nous projette ainsi au cœur d’une tranchée de première ligne, face à un ennemi lointain et invisible, dans un quotidien fait d’attentes, de temps morts, ainsi que de rares moments de combats, aussi rapides que mortels.


 

Toute la puissance du film provient du fait que, sans présentation ni didactisme, Loup Bureau réussit, grâce à la proximité avec laquelle il filme ces hommes, à nouer des liens avec eux et à progressivement générer un sentiment d’attachement pour ces inconnus. Des inconnus sans âges, mais que l’on comprend être bien jeunes, grâce aux quelques interviews ponctuant le film, à cause de leur manière de s’amuser avec chiens et chats, ou encore lorsqu’on les observe s’adonner aux jeux vidéo dont, ironiquement, l’un d’eux consiste à incarner un soldat russe durant la Seconde Guerre mondiale...


 

À cette jeunesse des comportements et des attitudes se couple, durant leurs toilettes sommaires ou leurs travaux harassants, la vision de leurs corps dénudés, non pas forcément musclés, mais plutôt banals, voire, pour certains, franchement gros et patauds, tout en étant pleins d’une vie qui ne demande qu’à s’épanouir. Cette vision a pour conséquence d’accentuer la sensation de normalité de ces hommes au front, loin de l’image de militaires professionnels, simplifiant, par là même, l’identification du public à leur encontre.


 


 

Dans une logique immersive, le cinéaste épure sa mise en scène et ne recourt qu’à peu de musique, pour ainsi laisser ses séquences se pénétrer du silence de l’environnement. Ce qui a pour effet d’accentuer le sentiment de langueur ambiante, comme la sensation d’atemporalité émanant de cette guerre filmée. Cette sensation est savamment entretenue par l’usage intelligent d’un noir & blanc grisonnant et peu contrasté, tendant à uniformiser l’espace. Ce noir & blanc qui, en plus d’une poétisation de l’imagerie, tend à donner l’impression que ce qui a été tourné pourrait avoir été pris sur le vif il y a cent-quinze ans, sur un des fronts de la Première Guerre mondiale. L’aspect de cicatrice balafrant la nature environnante que prend la tranchée, lorsqu’elle est filmée au steadycam au gré des déambulations des soldats, n’y est pas non plus étrangère et évoque, dans un même temps, des films comme À l’Ouest rien de nouveau ou Les Croix de bois. (1)


 

Bien évidemment, le film Tranchées est percuté par l’actualité : celle de l’attaque de la Russie du 24 février 2022 et, à ce titre, certains propos tenus par les soldats résonnent non d’une acerbe ironie tant ils semblent prémonitoires. Toutefois, on aurait tort de ne regarder ce film qu’à l’aune de ces développements récents, car ses propos sur le quotidien des hommes au front, sur la guerre et l’étrange sensation de suspension temporelle qu’elle procure, confinent à l’universalisme et ébauchent l’idée de ce que cela représente que d’être pris dans une guerre figée par la volonté des puissants.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n° 415, mai 2022

1. À l’Ouest, rien de nouveau (All Quiet on the Western Front) de Lewis Milestone (1930).
Les Croix de bois de Raymond Bernard (1932).


Tranchées. Réal, sc, ph : Loup Bureau ; mont : Catherine Catela, Léo Gatelier ; mu : Gustave Rudman (France, 2021, 85 mn). Documentaire.



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