par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle en compétition à la Mostra de Venise 2021
Sortie le mercredi 1er juin 2022
C’est l’histoire de Humberto Suarez, un homme (d’affaires) qui a amassé une immense fortune. Dans l’industrie pharmaceutique, un domaine noble, pas dans la vente d’armes ou le trafic d’engrais cancérigènes. Cela s’appelle une vie réussie, et implique une certaine sensibilité. Il a tout, tout ce qu’on peut désirer, et, pourtant il n’est rien. Au soir de sa vie, il se penche sur son passé, et ressent comme un manque, une dimension spirituelle peut-être, il réalise que le business, c’est tout de même assez trivial et éphémère, et, en quelque sorte, que la puissance n’est rien sans la gloire. Quand il mourra, de lui, il ne restera rien, et il rejoindra le commun des mortels, ce qui est désagréable à imaginer. Après avoir envisagé plusieurs manières de laisser une trace dans l’histoire, il trouve une solution dans le cinéma. C’est un art, il n’y connaît rien. Mais c’est aussi une industrie, et là il excelle. Elle est là, la bonne idée, qui présente tous les avantages, il va "faire producteur". Naturellement, il faut qu’il se donne le moyens pour mettre toutes les chances de son côté, mais les moyens, il les a.
Il achète à prix d’or les droits d’un best-seller (qu’il ne lit pas), et monte son projet avec la cinéaste la plus bankable du moment, la fantasque Lola Cuevas, qui, de plus, "a la carte", comme on dit, avec la critique et dans les festivals. Pour ce futur chef-d’œuvre, elle choisit les deux comédiens les plus cotés sur le marché, la star adulée Felix Rivero, et l’intello respecté Ivan Torres.
Tout devrait être en ordre de marche. Ce que le producteur auto-proclamé (et inculte) ignore, c’est que le cinéma est un univers parallèle, et qu’y entrer sans en détenir le codes, c’est dangereux. En y entrant sans initiation, il ouvre une boîte de Pandore dont tous les diables vont s’évader joyeusement sous ses yeux incrédules. Au cours des répétitions, sur le plateau, à la conférence de presse, pendant la masterclass, à défaut de devenir un artiste ou simplement un cinéphile érudit, le financier ignare va découvrir les coulisses et les secrets de fabrication d’un art étrangement exhibitionniste.
Les deux acteurs ne peuvent pas se blairer. C’est d’ailleurs pour cela que la cinéaste les a cyniquement choisis, rien de tel, pour favoriser l’inspiration, que les affrontements du vivant et les humiliations qui guettent - ce que, bien entendu, ils ne supportent pas. Les trois stars au narcissisme hypertophié constituent ainsi un trio infernal absolument bidonnant. D’autant, évidemment, qu’ils sont interprétés par des vraies stars, Penélope Cruz (avec une magnifique crinière rousse), Antonio Banderas et Oscar Martinez, qui ne rechignent pas à en rajouter sur la cuisine, les mesquineries, les tics et les vanités du métier. Toutes les "catégories de personnnels" du tournage en prennent d’ailleurs pour leur grade.
Dans la grande salle du Palais du cinéma, à Venise, les spectateurs connivents ne boudaient pas leur plaisir du second degré. C’est aussi un film aux ambitions plus profondes. "Aborder des questions telles que le processus de création artistique, le degré de compétence professionnelle, les égos, le besoin de prestige et de reconnaissance, les différentes "écoles" de jeu et d’art dramatique et les tensions entre des artistes issus de milieux et de parcours différents, qui poursuivent des objectifs différents, est l’un des défis qui nous passionnent le plus", a déclaré Gastón Duprat.
Le film est co-produit par Jaume Roures, le magnat espagnol du football, soutien de Podemos, qui ne manque pas une occasion d’évoquer sa jeunesse trotskiste, et souligne également que "The red carpet is not made for me".
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
Compétition officielle (Competencia oficial). Réal : Mariano Cohn & Gastón Duprat ; sc : M.C., G.D. & Andrés Duprat ; ph : Arnau Valls Colomer ; mont : Alberto del Campo ; mu : Eduardo Cruz. Int : Antonio Banderas, Penélope Cruz, Oscar Martínez, José Luis Gómez, Pilar Castro, Irene Escolar, Manolo Solo, Carlos Hipólito (Argentine-Espagne, 2021, 114 mn).