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Dame de trèfle (la) (2009)
de Jérôme Bonnell
publié le lundi 8 juin 2015

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°328, décembre 2009

Sortie le mercredi 13 janvier 2010


 


En dix ans et neuf films (cinq courts et quatre longs), Jérôme Bonnell a délimité un territoire personnel, suffisamment cohérent pour que nous lui consacrions bientôt une approche un peu plus développée que les quelques notes qui ont accompagné ses œuvres. Jeune Cinéma n’a cependant pas raté son surgissement en lui reconnaissant la naissance d’un cinéaste "d’une saisissante maturité", et une place dans "l’avenir radieux de la production hexagonale, toutes affirmations que nous partageons d’enthousiasme. (1)


 

Ni Malik Zidi ni Marc Barbé ne font partie de la troupe des acteurs que l’on retrouve d’un film à l’autre, Florence Loiret-Caille, Jean-Pierre Darroussin, Nathalie Boutefeu ou Judith Rémy. Ils s’y intègrent parfaitement, le premier s’inscrivant dans la lignée des héros récurrents de Jérôme Bonnell, adolescents ou jeunes adultes indécis, le second apportant dans ce film noir (très) qu’est La Dame de trèfle une touche nouvelle de violence - que complète Jean-Pierre Darroussin, sentimental bistrotier lecteur de Flaubert dans J’attends quelqu’un, et qui campe là un étonnant voyou en cavale, loin de la bonhomie inquiète qui est son terrain de jeu favori.
Ce choix d’un argument neuf et d’une narration plus linéaire - alors que les trois précédents reposaient pour l’essentiel sur une succession de scènes modulées dont la juxtaposition faisait sens, sans avancées dramatiques - donne au film une tonalité surprenante, loin des demi-teintes habituelles.


 

Mais on retrouve ce sens précis de la captation des situations - Jérôme Bonnell reconnaît ne pas découper ses séquences avant le tournage, prêt à accueillir "les surprises de ses acteurs" - qui fait de chaque plan une aventure. Impossible de prévoir ce qui surviendra du déplacement inattendu du comédien à la conclusion des affrontements - étreinte ou coup de couteau ? Florence Loiret-Caille excelle dans cet exercice, changeant de registre sans crier gare, vautrée sur un matelas ou bondissant comme un ludion, exprimant d’instinct les vérités de son personnage.


 

Ainsi, la longue séquence ultime entre le frère (Malik Zidi), la sœur (Florence Loiret- Caille) et l’amant (Marc Barbé) n’est-elle qu’une succession de bouleversements, de renversements d’alliances, de corps qui se cherchent ou se repoussent, de ruptures de jeu et de rythmes, les trois se déplaçant dans le monde clos des deux pièces sans que l’on puisse deviner quelles formes va prendre la violence. Ce tempo haletant nous emmène fort loin de la ratatouille psychologiste qui constitue le menu de trop de produits français tant vantés, Axelle Ropert ou Mia Hansen-Løve. Les liens de famille demeurent le canevas préféré de Jérôme Bonnell. Famille réduite ici au couple Aurélien-Argine (les joueurs de cartes y reconnaîtront le nom de la Dame de trèfle), couple si parfaitement ambigu qu’on les imagine d’abord amants. Et même si tel n’est pas le cas, le binôme qu’ils forment, associant explosante-fixe de la sœur et repli apeuré du frère, est de l’ordre de l’unité gémellaire : ce sont bien des moitiés d’orange qu’il faudra au moins un assassinat commun pour séparer.


 

À cette famille essentielle, refermée sur la maison - Jérôme Bonnell avoue avoir cherché son inspiration du côté de Hansel et Gretel  -, s’ajoute la famille élargie, les grouillants copains du café du village, les amants de passage qu’Argine accueille selon son humeur, avec la même vivacité et le même appétit qu’elle met à chanter le rock, et cette échappée vers une famille recomposée, que l’irruption de Nathalie Boutefeu, munie de son enfant, laisse entrevoir.


 

Tous ces personnages cherchent un chemin dans une nuit dont certains n’atteindront pas le bout. Film sinistre ? Que non pas. On en sort requinqué, d’abord parce que, comme dans le conte de Grimm, les ogres ont perdu, ensuite parce que les espoirs éveillés par Jérôme Bonnell sont confirmés de belle façon. Allons, l’avenir radieux se rapproche…

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 328 (décembre 2009)

1. Cf. "Le Chignon d’Olga", Jeune Cinéma n° 277, octobre 2002.
"J’attends quelqu’un", Jeune Cinéma n° 308-309, printemps 2007.
Notons que Les Yeux clairs ont obtenu le Prix Jean-Vigo 2005.


La Dame de trèfle. Réal, sc : Jérôme Bonnell ; ph : Pascal Lagriffoul ; mu : Marc Marder & Yann Destal ; mont : Laure Gardette ; déc : Marc Flouquet. Int : Malik Zidi, Florence Loiret-Caille, Jean-Pierre Darroussin, Marc Barbé, Nathalie Boutefeu, Marc Citti, Judith Rémy (France, 2009, 100 min).



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