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Boum Boum (2022)
de Laurie Lassalle
publié le mercredi 15 juin 2022

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 416, été 2022

Sortie le mercredi 15 juin 2022


 


Les films sur les Gilets jaunes ne manquent pas depuis trois ans, mais ils sont rarement entrés aussi profondément dans le mouvement que celui-ci. Laurie Lassalle s’est immergée complètement et dans cette révolte populaire et dans sa propre histoire d’amour, née avec le mouvement et éteinte avec lui. Imaginez un peu que vous retrouviez votre coiffeur lors du premier samedi dans la rue. Il s’appelle Pierrot et le fait de vous trouver à ses côtés dans ce combat vous fait tomber en amour. Pierrot, de son côté, fait des images sur la manif.


 


 

Laurie Lassalle lui propose de le filmer et la voici pendant l’heure et demie de film, et les trente heures de rushs, entièrement plongée avec lui et les autres révoltés dans une lutte dont elle suit chaque semaine l’avancée, jusqu’à ce que le pouvoir, à coups de gaz et de flash-ball, la fasse mourir à petit feu. Ce parallèle entre son amour et son désir et la révolte populaire est nécessaire, car il ne peut y avoir de vraie révolte sans passion, sans amour et c’est vrai que, dans les manifs, on se sent souvent envahi d’une solidarité quasi amoureuse et cette "joie sans mélange" qu’évoquait Simone Weil à propos des grèves de 1936.


 

Alors, dans la brume des bombes asphyxiantes que la police balance à tour de bras, Laurie Lassalle filme à en perdre le souffle. Certaines images semblent avoir été filmées sous l’eau. C’est un univers à la fois aquatique et apocalyptique, magnifique et angoissant. Avec son monteur son, Ange Hubert, elle a enregistré les bruits d’une manif qu’ils ont passé au ralenti et l’effet est saisissant. Pierrot est filmé comme s’il se noyait.


 

On peut y voir la prolepse d’un amour qui ne résistera pas à l’usure du mouvement. Film immersif, chant d’amour où la réalisatrice met à la fois sa propre vie en danger et montre ses sentiments à nu et à vif, Boum Boum - intitulé successivement Soulèvement puis Tumulte - est un drame qui se joue au cœur d’une France oubliée par la gouvernance technocratique, une France qui souffre, mais se réjouit de cette révolte, avant qu’elle ne soit effacée par la violence d’État.


 


 

Tout ça donne un film fort, tourné avec un appareil photo-caméra HD, très sensible, léger et facile à utiliser, qui permet d’être au cœur de l’action, au plus proche des gens. L’image bouge, comme bouge tout corps qui se révolte. Pierrot est dans presque tous les plans comme un chevalier qui se battrait pour sa dame, mais il n’est pas invulnérable. Par ses plans proches des corps et des visages, ses séquences sur les blessures, Laurie Lassalle offre une vision du réel qui souffre, avec elle, avec nous tous. On pense évidemment à Chris Marker, à ses films tournés dans l’action, comme La Sixième Face du Pentagone ou les extraits repris dans Le fond de l’air est rouge, ce qui n’est pas une mince référence. (1)

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 416, été 2022

1. La Sixième Face du Pentagone de Chris Marker & François Reichenbach (1968).
Le fond de l’air est rouge de Chris Marker (1977), sous-titré Scènes de la Troisième Guerre mondiale (1967-1977).


Boum Boum. Réal, ph, son, mont : Laurie Lassalle ; mont : Raphaël Lefèvre, Catherine Catella & Léa Chatauret (France, 2020, 112 mn). Documentaire.



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