Réduite à son squelette, l’intrigue du nouveau film de Park Chan-Wook est on ne peut plus emblématique. Le cadavre d’un homme ayant été retrouvé au pied d’une montagne, un inspecteur de police, chargé de l’enquête, est conduit à interroger la femme de la victime, pour laquelle il ne tardera pas à éprouver des sentiments. On aura reconnu là le canevas de nombre de films noirs ou néo-noirs dans lesquels la femme fatale constitue le motif privilégié, et l’implication du policier ou du détective en vient à troubler sa perception du monde et de ses propres mobiles.

Park Chan-Wook propose ici une variation particulièrement alambiquée, juxtaposant sans solution de continuité les différentes facettes de récits possibles, multipliant à loisir les différentes hypothèses et virtualités sur les circonstances de la mort de la victime et la culpabilité de la principale suspecte, jouant de la voix off comme facteur de dédoublement des personnages.

Jusqu’à ce que l’on comprenne que c’est pour ne pas décider, ne pas savoir (si la femme est coupable) que le flic prolonge à l’envi son investigation.
Si la sophistication de la construction narrative peut nuire à l’émotion et à la fascination qui, de la relation centrale, est censée, dans le genre noir, "rebondir" sur le spectateur, le film n’en demeure pas moins une remarquable machine à fictionner, que les derniers plans semblent presque théoriser : promenant une lanterne au-dessus de l’agitation des vagues, dans une quête qui paraît ne jamais devoir finir, l’inspecteur ne serait-il pas un des ces lantern-bearers chers à Robert Louis Stevenson ?
Soit l’éloge même de la fiction.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°416, été 2022

Decision to Leave (Heojil Kyolshim). Réal : Park Chan-Wook ; sc & dial : PCW & Chung Seo-Kyung ; ph : Ji-yong Kim ; mont : Sang-beom Kim ; mu : Yeong-wook Jo. Int : Tang Wei, Park Hae II, Go Kyung-Pyo, Teo Yoo (Corée, 2022, 138 min).