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Waters, John (livre)
M. Je-sais-tout (2021)
publié le mercredi 10 août 2022

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021

John Waters, M. Je-sais-tout, Paris, Actes Sud (2021)


Les éditions Actes Sud ont publié l’ouvrage écrit par John Waters en 2019, et qui a pour sous-titre : "Conseils impurs d’un vieux dégueulasse", se référant de manière spirituelle à la Lettre à un jeune poète de Rainer Maria Rilke et aux Notes of a Dirty Old Man de Charles Bukowski.

Entrons dans le vif du sujet. Le livre commence par cette phrase : "Bizarrement, je suis devenu quelqu’un de respectable", qui résume la métamorphose d’un cinéaste underground en metteur en scène hollywoodien. John Waters se réjouit que Douze trous de balle et un pied sale, son montage de chutes de films X, soit de nos jours dans les collections d’un musée d’art moderne, et il ironise : "La pire chose qui puisse arriver à un artiste me tombe dessus. Je suis accepté".
Pour l’auteur, le concept d’artiste "crève-la-faim" est dépassé. Son premier conseil au lecteur voulant réussir - obsession bien américaine - sera de tirer parti de son complexe d’infériorité. Lucide, il constate : "Vous aurez beau faire, en vieillissant vous deviendrez une version déformée de vos parents". Il aborde d’entrée de jeu le thème de l’homosexualité estimant que, "de nos jours être une fille ou un garçon n’a plus d’importance". Dandy se dessinant au crayon Maybelline une fine moustache à la Douglas Faibanks, il estime que "vieillir en beauté est ce qu’il y a de plus ardu pour un rebelle". Soucieux du look, pour lui, une intervention de chirurgie esthétique est ratée si on la remarque.

Il assimile sa carrière à un business plan qui démarre avec le succès au box-office de Pink Flamingos (1972), film où s’illustre Divine, sa Galatée baltimorienne, sorte de Fatty Arbuckle transformé en superstar warholienne. Comme Rainer Werner Fassbinder, il aime les mélos de Douglas Sirk, que ses propres films miment et minent.
Sans faire de complexe, il prend l’habitude de demander de l’argent à ses "amis friqués". Il réalise ses premières œuvres sans tenir compte des syndicats de la profession. Comme Kenneth Anger, il se heurtera à la question des droits exorbitants des chansons illustrant ses bandes.
Pragmatique, il conseille aux futurs cinéastes de prendre de belles photos de tournage en vue de la promo. Il est fier que Polyester (1981), son film en odorama, ait été sélectionné à Cannes (1). Pour un musical comme Hairspray (1988), il lui a suffi de vendre une excellente idée, celle "d’une grosse Blanche engagée dans la lutte contre la ségrégation raciale" et d’exploiter sa collection personnelle de disques "un peu dingos de rhythm and blues". Ce "film familial", un cheval de Troie introduit dans les foyers petits-bourgeois, soutenait sournoisement "le mariage homosexuel et les relations adolescentes interraciales".

À Hollywood, un agent est nécessaire car "on ne peut pas chanter ses propres louanges". Grâce à Bill Block, il put réaliser Cry-Baby (1990) avec Johnny Depp, consacré par la série télé 21 Jump Street, qui voulait casser son image, avec Traci Lords, vedette du porno à l’âge adolescent ainsi que… Patty Hearst. Il se vante au passage d’avoir refusé un rôle à Brad Pitt, "trop séduisant et pas assez excentrique". Serial Mother (1994), avec Kathleen Turner a été considéré comme un film "culte", un qualificatif voulant dire que "trois intellos ont aimé et que personne n’a payé pour le voir".

À partir de là, aucun de ses longs métrages n’a rapporté d’argent. Cecil B. Demented (2000), produit grâce à Canal +, l’un de ses préférés, mêle acteurs bankables comme Melanie Griffith et freaks comme une autre star du porno, Alicia Witt.
A Dirty Shame (2004), un échec commercial, le pousse à se reconvertir en comédien de stand-up, ce qui veut dire pour lui : 70 minutes de texte écrit et mémorisé. Il s’est produit sur scène, et tourne encore partout, en Amérique et en dehors. Il note : "J’ai donné des représentations dans des night clubs dans tous les États-Unis et j’ai eu droit à toutes sortes de loges, de la plus classe à la plus sordide". Dans cet exercice, pas d’autre acteur pour lui souffler sa réplique, si bien qu’il se livre à un numéro de funambule sans filet : "Si vous ne comprenez pas la blague que je viens de faire, aucune importance. Je suis déjà en train de débiter la suivante".
Le cinéaste viré cabot sait qu’il remplit les salles sur son nom :"Maintenant, quand je fais un spectacle, j’ai droit à une standing ovation au moment où j’arrive sur scène parce que je suis vieux".

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021

1. Sélectionné au Festival de Cannes, au Cinéma de la plage, en 2014.


John Waters, ’Mr. Know-it-all : The Tarnished Wisdom of a Filth Elder’, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2019. M. Je-sais-tout. Conseils impurs d’un vieux dégueulasse, traduction de Laure Manceau, Paris, Actes Sud, 2021, 368 p.



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