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Pór, Katalin (livre)
Lubitsch à Hollywood (2021)
publié le mercredi 10 août 2022

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021


Katalin Pór, Lubitsch à Hollywood, Paris, CNRS Éditions, 2021.


 


Dans sa somme sur Orson Welles, le regretté Youssef Ishaghpour rappelle que lorsqu’il a été question que Carl Dreyer réalise un film à Hollywood, Ernst Lubitsch a remarqué qu’il avait "trop de style et qu’il était trop personnel pour cela".
Le réalisateur de To Be or Not to Be (Jeux dangereux, 1942) aurait-il voulu dire par là que l’on ne pouvait être pleinement artiste à Hollywood ? Ou bien, plus sûrement, lui qui situait l’art cinématographique dans la lignée des œuvres de Shakespeare, que cet art devait composer, mais non se compromettre, avec le "milieu" qui fut véritablement le sien à partir de 1923 ?
C’est avec un tel présupposé - Ernst Lubitsch était bien, à sa manière, un artiste - que Katalin Pór aborde dans son nouvel ouvrage la question de son "statut" au sein de l’industrie hollywoodienne. Soit, de la manière la plus détaillée, comment ce cinéaste" travaillait-il" à Hollywood ?

C’est dire que, loin de s’embarrasser de considérations par trop théoriques - quitte à avoir recours à des termes un peu flottants - "Qu’est-ce que peser à Hollywood ?" -, à propos de la question centrale de l’artiste et de l’industrie, le livre de Katalin Pór, nourri aux meilleures sources (journaux de l’époque, archives des studios...), nous fait toucher du doigt l’imbrication complexe du pouvoir créatif de Ernst Lubitsch, et des studios hollywoodiens, objet d’étude d’autant plus riche et passionnant que le metteur en scène a exercé lui-même, certes pour une brève durée (février 1935-février 1936), les fonctions de directeur de la production à la Paramount.

Parmi les nombreuses pistes explorées, les pages que Katalin Pór consacre à ses rapports au code d’autocensure permettent, dans la prolongation des travaux de Francis Bordat, de battre en brèche quelques idées reçues sur la question. Ainsi, loin de se situer dans le cadre d’un affrontement permanent avec la Production Code Administration (PCA), Ernst Lubitsch l’inclut-il véritablement dans le processus créatif.
À cet égard, Katalin Pór montre finement que les exigences de la PCA rejoignent à l’occasion son goût pour l’allusion et le sous-entendu.

Tout aussi éclairants sont les passages consacrés aux tensions existant entre l’extrême préparation de la phase scénaristique (multiples réécritures) et le jeu de l’acteur/trice. Très concrètement, Katalin Pór montre ainsi comment, dans Trouble in Paradise (Haute pègre, 1932), l’interprétation de Miriam Hopkins "bouleverse la dynamique instaurée à l’écrit" (p. 98).
Plus généralement, l’auteure insiste bien sur le désir constant de Ernst Lubitsch de trouver "le meilleur équilibre entre une autonomie artistique et financière, et des moyens financiers conséquents" (p. 52), le cinéaste n’ayant ainsi eu de cesse de réorganiser le fonctionnement habituel de la création hollywoodienne. C’est dire, selon Katalin Pór, la plasticité de cette industrie, du moins lorsque cette dernière a à faire à des personnalités aussi fortes que celle de Ernst Lubitsch.

On aurait aimé voir préciser cette notion de "poétique hollywoodienne" à laquelle il est fait référence à plusieurs reprises, mais les travaux minutieux de Katalin Pór permettent de résoudre le caractère apparemment paradoxal d’une expression telle que "l’approche élitiste de la création collective et industrialisée" (p. 185). Pour s’en convaincre on lira donc attentivement cet ouvrage, nécessaire à tous les amateurs d’un des plus grands créateurs d’Hollywood.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021


Katalin Pór, Lubitsch à Hollywood. L’exercice du pouvoir créatif dans les studios, Paris, CNRS Éditions, 2021, 300 p.



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