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Huyghe, Axel & Chapuy, Arnaud (livre)
Le Saint-André-des-Arts (2021)
publié le mercredi 10 août 2022

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 412, décembre 2021

Axel Huyghe & Arnaud Chapuy, Le Saint-André-des-Arts, Paris, L’Harmattan, 2021.


 


Tous ceux qui ont découvert La Salamandre de Alain Tanner lors de sa sortie, en octobre 1971, se souviennent avec émotion de ce moment rare. La descente de l’interminable escalier du Saint-André – presque toutes les autres salles du Quartier latin étaient de plain-pied, et on y pénétrait sans vergogne, comme dans un bistrot - offrait le sentiment de célébration d’un même mystère que l’accession à ces temples en sous-sol, la Cinémathèque de la rue d’Ulm ou le Studio-Parnasse, qui firent tant pour l’exaltation d’une génération.
Combien de fois, les amateurs de Alain Tanner - qui n’était plus un inconnu, la déflagration de Charles mort ou vif (1969) était déjà passée par là -, et de Bulle Ogier - pas non plus une découverte pour les spectateurs des Idoles de Marc’o (1967) et de L’Amour fou de Jacques Rivette (1967) -, ont-ils vu le film à l’époque ?
On ne sait, mais à chaque nouveau passage, on y retrouvait des visages familiers.

Pour fêter ce jubilé, il convenait de bien faire les choses. Ce qui fut fait, grâce à une semaine de programmation exceptionnelle (du 27 octobre au 2 novembre 2021), reprenant la plupart des titres que Roger Diamantis, le créateur de la salle, avait fait découvrir aux Parisiens, titres signés Nagisa Oshima (L’Empire des sens, 1976), Theo Angelopoulos (Le Voyage des comédiens, 1975), Barbara Loden (Wanda, 1970), René Allio (Moi, Pierre Rivière…, 1976), Barbet Schroeder (Général Idi Amin Dada, 1974), Ken Loach (Family Life, 1971), Alain Cavalier (La Rencontre, 1996), on en passe.
De toutes façons, s’il avait fallu rassembler toutes les raretés projetées lors des séances de midi - Roger Diamantis avait ouvert un créneau pour des films qu’il était le seul à passer -, où les curieux se comptaient souvent sur les doigts d’une main, un mois entier eût été nécessaire.

Pour laisser une trace autre que dans le souvenir, un ouvrage vient compléter l’anniversaire. Ouvrage court, une cinquantaine de pages de texte, autant de pages de photos, mais qui rappelle l’essentiel du parcours de Roger Diamantis, restaurateur du quartier Saint-Séverin (les Grecs y tenaient le haut du pavé), mais aussi cinéphile averti, que la fabrication de souvlaki ne comblait pas, et qui avait décidé de se payer une folie en créant un cinéma.
C’était alors chose courante. Entre St-Germain-des-Prés et Mouffetard, on en comptait quarante-deux, dont plusieurs à salles multiples, comme le montre la carte de la page 45. Mais créer une salle indépendante, ni patrimoniale (Le Champo) ni de genre (Le Styx), qui reposerait sur les seuls choix de son fondateur-exploitant, c’était une aventure, car la concurrence était forte – on imagine mal aujourd’hui la richesse des propositions hebdomadaires durant ces quelques années d’exception. Aventure réussie : en témoignent les 170 000 spectateurs de La Salamandre, resté à l’affiche un an durant.

Après ce démarrage en fanfare, il fallait tenir et c’est ce que Roger Diamantis a su faire, au moins jusqu’à ce que les grands circuits ne mettent la main sur la programmation de la plupart des salles Art & Essai. Le refus de Gaumont, en octobre 1983, de lui permettre de passer À nos amours de Maurice Pialat déclencha une "affaire" qui fit grand bruit, et sur laquelle l’ouvrage revient.

Mais la belle période de conquête d’un public était achevée. Et lorsque Roger Diamantis disparut, en 2010 (depuis plusieurs années, sa santé l’avait contraint à ne plus s’occuper directement de ses trois salles), on crut bien que le Saint-André allait rejoindre la cohorte des cinémas disparus, comme la moitié des salles du Quartier.
Pour le bonheur des cinéphiles parisiens pas encore convertis au streaming et à Netflix, le lieu demeure et si la célébration du grand mystère résolument moderne n’est plus tout à fait ce qu’elle fut, il est encore loisible d’en profiter. Jusqu’à quand ?

Nonobstant quelques bévues mineures - Pierre Blanchar n’apparaît pas dans Zéro de conduite, (p. 14), ou bien le souvenir que l’on garde du restaurant des parents Diamantis, Les Balkans, n’est pas tout à fait à la hauteur gastronomique décrite (p. 16) -, l’ouvrage s’avèrera fort utile pour les chercheurs des années 2050, lorsque l’étude des salles de cinéma relèvera de l’archéologie.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 412, décembre 2021


Axel Huyghe (texte) & Arnaud Chapuy (photographies), Le Saint-André-des-Arts, Désirs de cinéma depuis 1971, préface de Alain Cavalier, Paris, L’Harmattan, 2021, 96 p.



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