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Breton, André (livre)
Lettres à Simone Kahn 1920-1960 (2016)
publié le jeudi 11 août 2022

André Breton et le cinéma (1921-1928)
par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°382-383, automne 2017

André Breton, Lettres à Simone Kahn 1920-1960, Paris, Gallimard, 2016.


 


La période des cinquantes années d’occultation de sa correspondance après son décès, exigées par André Breton, a pris fin l’an dernier, le 28 septembre 2016.
En attendant l’édition d’une correspondance générale, qui demandera sans doute plusieurs décennies - il a fallu onze ans pour rassembler celle de Guy Debord, moins longue (1951-1999) -, des bribes nous en sont offertes.

Après les Lettres à Aube 1938-1966 (Gallimard, 2009), ouvrage publié hors purgatoire - comme sa fille en avait le droit -, la même maison Gallimard a édité les Lettres à Simone Kahn 1920-1960 (Gallimard, 2016), passionnant coup de projecteur sur les relations du poète avec sa première épouse, essentiellement durant les années 20, puisque le divorce eut lieu en 1929.

Au fil de ce copieux ouvrage, qu’on ne peut que recommander à tous les amateurs (mais tous l’ont assurément déjà dévoré), André Breton évoque à plusieurs reprises le cinéma, ou plutôt des films qu’il a vus.
Loin de toute la théorie qui fleurissait considérablement par ailleurs, il ne s’intéresse qu’à son émotion et à son plaisir de spectateur ainsi suscités.

Aucun "grand" titre cité parmi ces 384 pages - même pas Nosferatu ni Les Vampires, sur lesquels il reviendra autrement -, mais des films vus au hasard, comme lorsqu’il écumait les salles de Nantes en compagnie de Jacques Vaché.

André Breton devant un film de Jean Kemm ou de Penrhyn Stanlaws, cela valait la peine de faire le relevé de ses commentaires, souvent surprenants.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

Page 132 : "5 juin 1921 : je suis tombé au cinéma sur l’exposition dada de Max Ernst et un film de Nazimova, de qui je ne sais toujours, mon amour, par quoi elle vous ressemble. Cela s’appelait La Fin d’un roman. Il faudrait que vous tâchiez de le voir."

La Fin d’un roman (The Brat) de Herbert Blaché (1919), avec Alla Nazimova et Charles Bryant.

Page 140 : "10 août 1921. Vraiment ce film que je vous contais l’autre jour n’était pas si méprisable (Micheline). Il est bon d’avoir vu cette femme coudre après ce long regard par la fenêtre, un pli au front, pour ne plus s’arrêter jusqu’à la fin. Cette femme qu’on a vue peut-être belle et si sûrement jeune. (C’est facile et c’est tout de même à crier)."

Micheline de Jean Kemm (1921), d’après André Theuriet, avec Geneviève Félix, Renée Lemercier, César, André Polack.

Page 143 : "13 août 1921. J’ai vu hier le dernier épisode d’un film admirable qui s’appelait L’Étreinte de la pieuvre. Il s’agissait, quinze semaines durant, pour un redoutable savant chinois, de s’emparer des douze dagues qui, introduites dans les douze serrures d’un coffre-fort, devaient en ouvrir la porte et le mettre en possession de je ne sais quel secret. À l’origine, les douze dagues étaient aux mains de douze savants différents. Parvenu à rassembler onze dagues, cet homme seul se trouve en présence de son principal adversaire, "L’Homme au masque" et réussit, revolver au poing, à le tenir en respect. L’Homme au masque est contraint de se faire connaître. Il n’est autre que le savant chinois lui-même, ou plutôt que son premier corps astral, qui a réussi à s’abstraire de sa volonté. C’est alors que le savant chinois, s’étant débarrassé du coupable, prend conscience de son merveilleux pouvoir et tente d’envahir New York à lui tout seul. Il lui suffit de se créer lui-même indéfiniment. À un nombre incroyable d’exemplaires, on le voit sortir par une porte, à la file indienne. Cela s’appelle La Maison des ombres. Je n’ai jamais rien vu de plus beau."

L’Étreinte de la pieuvre (Trail of the Octopus) de Duke Worne (1919) avec Ben F. Wilson, Neva Gerber.

Page 164 : "25 juillet 1922. En ton absence j’ai vu deux films très convenables : La Montée du passé (Thomas Meighan), l’histoire d’un homme qui court après ses souvenirs et Autour d’un cœur, suédois, la chose la plus gaie qui me soit apparue depuis longtemps. Si je pouvais vivre en Suède !"

La Montée du passé (Conrad in Quest of His Youth) de William C. DeMille (1920), avec Thomas Meighan, Mabel Van Buren

Autour d’un cœur (Gyurkovicsarna) de John W. Brunius (1920), avec Pauline Brunius, Gosta Ekman, Nils Asther. (1)

Page 185 : "16 mars 1923. Ah ! comme toujours en ton absence, chérie, et c’est très mal, j’ai vu ces temps-ci deux films étonnants : La Ferme (Mack Sennett) et Face à l’infini (Paramount) qui sont typiquement ce que je voudrais te faire voir. Ils valent la peine que tu cherches à savoir si on ne les donne pas à Strasbourg. Tout y passe de ce que j’aime dans le reste de la production. Le premier est tel qu’il n’y a pas un Charlot qui tienne à côté, le second rappelle merveilleusement Delteil…"

La Ferme / Un mariage mouvementé (Down on the Farm) de Ray Grey, Erle C. Kenton, F. Richard Jones (1920), avec Louise Fazenda, Harry Gribbon.

Face à l’infini (At the End of the World) de Penrhyn Stanlaws (1921), avec Betty Compson, Milton Sills.

Page 236 : "6 février 1925. J’ai été voir Monte là-dessus que j’ai trouvé (naturellement) très mauvais. Mais j’attends Surcouf (à partir du 20 février).

Monte là-dessus ! (Safety Last) de Sam Taylor & Fred Newmeyer (1923), avec Harold Lloyd, Mildred Davis.

Page 252 : "23 février 1925. J’ai vu Surcouf mais, déception, pas l’ombre de ma petite Simone dans ce premier épisode. Je n’ai fait que l’entrevoir à la porte sur une photographie. Artaud n’est pas brillant dans ce rôle, en effet."

Surcouf de Luitz-Morat (1924) ; sc : Arthur Bernède, avec Jean Angelo, Thomy Bourdelle, Antonin Artaud, Pierre Hot, Maria Dalbaïcin, Jacqueline Blanc, Joanna Sutter, Daniel Mendaille. 8 épisodes.

Page 303 : "11 mars 1928. Je me prépare à aller au Grand Théâtre (à Antibes) où l’on donne Harold Lloyd dans Le Petit Frère et Charlot usurier. Il y a de grandes affiches annonçant : Prochainement, Musidora et toute sa troupe…"

Le Petit Frère (The Kid Brother) de Ted Wilde & J.A. Howe (1927), avec Harold Lloyd, Jobyna Ralston.

Charlot usurier (The Pawnshop) de Charles Chaplin (1916), avec Charles Chaplin, Edna Purviance.

Page 310 : "16 juin 1928. Il faut absolument que tu lises et que ces enfants lisent (mais toi d’abord) Mes voyages de Charlie Chaplin, qui est le livre le plus admirable que j’aie lu depuis Lénine de Trotsky. Je te l’envoie, sans céder à l’envie de souligner les passages que je trouve les plus émouvants. Quelle vérité humaine dans ces pages ! Et aussi quelle justification éclatante de l’attitude que nous observons à l’égard de tout. Bonheur, espoir, patries, révolution, temps, prisons, amour."

Charles Chaplin, Mes voyages, traduction de P.A. Hourey, Kra, 1927.

Page 313 : "18 juin 1928. (On voit) relativement peu l’ancienne rue du Château, tout occupée de la préparation du documentaire sur Paris. Cela peut d’ailleurs n’être pas mal."

Souvenirs de Paris de Pierre Prévert & Marcel Duhamel (1928).

Page 324 : "Dranem, quel génie. C’est quand même autre chose que Buster Keaton."

Armand Ménard, dit Dranem (1869-1935).

1. Cf. "John W., l’autre Brunius", Jeune Cinéma n°368, automne 2015.


André Breton, Lettres à Simone Kahn 1920-1960, présentées et éditées par Jean-Michel Goutier, Paris, Gallimard, 2016, 284 p.



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