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Binh, N.T. & Sojcher, Frédéric, éds. (livre)
L’Art du montage (2017)
publié le jeudi 11 août 2022

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°384, décembre 2017

Binh, N.T. & Sojcher, Frédéric, éds., L’Art du montage, Bruxelles, Impressions nouvelles, 2017.


 


L’Art du montage est la compilation d’une série de débats menés par le Master en scénario, réalisation et production de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Dans son introduction, Frédéric Sojcher analyse les différents rapports du montage avec les autres disciplines du cinéma et développe brièvement le contenu du livre. Il évoque aussi l’un de ses premiers souvenirs, avec le célèbre monteur Albert Jurgenson. Son père, Jacques Sojcher, était le coscénariste et l’acteur principal du film de André Delvaux, Babel Opéra (1985). Expérience malheureuse d’un montage raté que Frédéric Sojcher avait pressenti. Révélation qui explique la publication d’un tel livre consacré au montage, "la seule invention du cinéma" dixit Jean-Luc Godard.

Suivent les témoignages des réalisateurs Arnaud Desplechin, Jacques Audiard, Patrice Leconte, Cédric Kahn et Catherine Breillat et des monteurs Juliette Welfing, Joëlle Hache, François Gédigier, Yann Dedet et Pascale Chavance. Ces entretiens prouvent combien le métier de monteur est essentiel et fondamental dans l’élaboration d’un film. Cédric Kahn va jusqu’à dire combien "c’est paniquant le montage, c’est la révélation d’un film", car sinon, le film n’existe pas, il reste à l’état de rushes, de plans, inachevé.

Mais qu’est-ce que le montage ?
Si l’on en croit Henri Colpi : "Construction et rythme sont les deux pendants de l’art du montage". Le montage donne forme aux images, les assemble pour créer une narration, mettre en lumière une histoire, évoquer une cadence, un mouvement, un tempo.

Arnaud Desplechin précise : "Aucun plan ne doit dire la même chose que le précédent. On doit tout le temps être dans la progression de la scène." Pour reprendre le propos de Jacques Aumont : "Le montage est une forme qui pense". Sans doute est-ce cela, une continuité réflexive qui ne cesse jamais d’être travaillée, interrogée, éprouvée, confrontée, tant qu’il y a des images.

Dix-sept heures de rushes pour la scène de l’accident avec l’orque dans De rouille et d’os de Jacques Audiard, dit Juliette Welfing. François Gédigier se souvient, à propos de Dancer in the Dark de Lars von Trier : "La difficulté, c’est que pour une chanson de six minutes, il y a dix heures de rushes et dans le cas précis du train, dix-sept heures !" Mais, dit Patrice Leconte, "Il faut tourner dans la longueur pour que l’émotion et la sensualité montent, s’installent doucement."
Donc, monter un film, c’est un travail qui repose à la fois sur la perception du sentiment de l’image et sur la connaissance du métier. Il faut être habité par une sensibilité particulière, qui relève souvent d’une longue pratique, parfois hors des règles, guidée par le seul désir de cinéma.
L’oubli du scénario par exemple, nécessaire à l’acquisition d’une liberté nouvelle face au travail. Yann Dedet le dit très bien : "Je le lis le plus tôt possible et puis il devient interdit de montage." Et Cédric Kahn confirme : "Yann cherche un raccord émotionnel, organique au personnage, au plan." Monter un film, c’est un travail manuel qui cherche l’angle d’un regard, intuitif, instinctif et réceptif à l’image. Le montage est aussi un travail physique pense Joëlle Hache : "Ça passe par le corps : de toute façon, le montage, c’est une histoire de respirations, donc de corps."

La voix des intervenants est toujours intéressante et vivante, elle déborde parfois le seul montage pour évoquer des souvenirs de tournage, ou révéler certaines habitudes de réalisateurs, comme Jacques Audiard qui conserve un cahier B, où sont regroupées toutes les scènes du scénario, même celles qui n’ont pas été retenues. Ou encore Catherine Breillat, qui craint le numérique et panique à l’idée de la disparition programmée du film.

Un point sur lequel la plupart des intervenants s’accordent : tous regrettent le temps du montage en argentique, et, comme le souligne Joëlle Hache, "c’est dramatique que l’apprentissage de ce métier ne se fasse que par l’apprentissage de boutons."

Un livre qui en appelle d’autres, avec la même vivacité de paroles, de réflexions et de présence de ceux qui font le cinéma.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°384, décembre 2017


N.T. Binh et Frédéric Sojcher, éds., L’Art du montage. Comment les cinéastes et les monteurs réécrivent le film, Bruxelles, Impressions nouvelles, 2017, 208 p.



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