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Bodansky, Jorge (livre)
Procurando Iracema (2017)
publié le vendredi 12 août 2022

par Robert Grélier
Jeune Cinéma n°385-386, février 2018

Jorge Bodansky, Procurando Iracema, São Paulo, éd. Madalena, 2017.


 


Quand, dans les années soixante-dix, Paris était l’épicentre des cinémas du Tiers-Monde (on ne disait pas encore pays émergents), il était possible de découvrir dans les salles et même sur les chaînes de télévision, moins frileuses qu’aujourd’hui, le cinema novo brésilien. Ainsi on a pu voir, en 1976, Iracema de Jorge Bodansky &Orlando Senna.

Pour être distribués en France, puis en Europe, les jeunes cinéastes étaient prêts à tous les sacrifices, d’autant que tous ces films étaient la plupart du temps interdits ou censurés dans leur pays. Ce qui fut d’ailleurs le cas de Iracema, qui ne fut montré qu’en 1981.

Démunis, les cinéastes, pour être reconnus hors des frontières, se laissèrent gruger par les distributeurs français. Ainsi Jorge Bodansky fut-il contraint de payer auprès du laboratoire allemand les cinq copies qui circulèrent en France. En dépit du succès dans les salles, des ventes aux chaînes de télévision, près d’un demi-siècle plus tard, le réalisateur attend toujours le remboursement des frais avancés et le paiement de ses droits.

Pourtant Iracema fut l’un des films les plus célèbres de cette période. Après Vidas secas de Nelson Pereira dos Santos (1963), le cinéma brésilien abandonnait les drames familiaux à valeur hautement symbolique pour conter et filmer le réel. Exemplaire, Iracema le fut à plus d’un titre. La dictature militaire au pouvoir depuis 1964, pour soi-disant désenclaver l’Amazonie, dans un grand projet d’intégration des populations du Nordeste et indiennes d’Amazonie, avait décidé la construction d’une route stratégique qui, partant de Jõao Pessoa et Belem sur la côte, aboutirait à la frontière péruvienne. (1)

Tia Brasil Grande est un routier sur la Transamazonienne, en cours de construction. Au départ, il prend en stop Iracema, une jeune prostituée indienne de 14 ans, désireuse de quitter son village pour "découvrir le monde". Loin d’être une idylle amoureuse, leur voyage décrit une réalité qui n’est pas celle promise par les militaires : destruction sans contrôle de la forêt amazonienne aux profits d’intérêts économiques étrangers. Iracema, malade et prématurément vieillie, sera abandonnée au bord de la route par le camionneur.
Entre fiction et documentaire, la vedette du film, c’est la caméra chargée de sens de Jorge Bodansky. Libre comme un oiseau tropical, elle fustige au passage tout ce qui l’entrave. Ici, la réalité reprend ses droits et le Brésil n’est plus celui de l’indolence de la bossa nova. À la sortie du film en Italie, Alberto Moravia écrivait : "Le véritable thème du film, c’est le destin du Brésil". Aucun doute possible, c’est une pellicule qui incite à agir. D’ailleurs Jorge Bodansky lui-même n’a eu de cesse de retourner et de filmer en Amazonie. Il a eu l’audace de revoir, quarante ans après, Iracema, devenue une grand-mère assagie, mais toujours aussi démunie. Elle fut l’interprète d’un film que l’on retrouve dans les compléments du coffret édité par l’Instituto Moreira Salles.

Aujourd’hui, Iracema le film est l’objet d’un livre.
En 1972 pour pouvoir trouver un producteur, Jorge Bodansky avait eu l’idée de tourner un brouillon avec une caméra super 8. C’est en montrant ce premier jet à la ZDF (Allemagne) qu’il sut convaincre les dernières réticences des financiers.
En 2017, la maison d’édition brésilienne Madalena le sollicita pour reprendre, photogramme après photogramme, les images d’un film à la vérité édifiante. Dans l’attente de la sortie en DVD de la version française, un beau cadeau à faire pour tous les amoureux du cinéma brésilien.

Robert Grélier
Jeune Cinéma n°385-386, février 2018

1. Longue de 4 223 km, la Transamazonienne est en grande partie un chemin de terre battue, inondé à la saison des pluies et par conséquent impraticable pendant six mois, dont seulement quelques centaines de kilomètres sont asphaltés. Elle traverse le Brésil d’Est en Ouest, épousant parallèlement le tracé du fleuve Amazone. Si, au départ, des bandes de terre de chaque côté de la route de cinquante kilomètres devaient être attribuées à des paysans pauvres du sud et du Nordeste, quelques années après, il en fut tout autrement. Les grands propriétaires terriens et les multinationales s’approprièrent d’immenses parcelles pour la pratique d’une culture intensive. Le projet peu soucieux de l’écologie fragile de la forêt est une catastrophe à tout point de vue : économique et politique.


Jorge Bodansky, Procurando Iracema (À la recherche d’Iracema), São Paulo, éd. Madalena, 2017.



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