home > Livres & périodiques > Livres > Morin, Edgar (livre)
Morin, Edgar (livre)
Le Cinéma, un art de la complexité (2018)
publié le vendredi 12 août 2022

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°387, mai 2018

Edgar Morin, Le Cinéma, un art de la complexité, Paris, Nouveau Monde éditions, 2018.


 


Edgar Morin publie un recueil d’une quarantaine d’articles, introuvables ou inédits, écrits par lui entre 1952 et 1962. Ces textes hétérogènes ont été rassemblés et présentés par Monique Peyrière, chercheuse à l’EHESS et Chiara Simonigh, professeure d’esthétique du cinéma à l’Université de Turin.

Attiré dès l’enfance par les salles obscures et leur monde de l’imaginaire, Edgar Morin se définit comme un "cinéphage" devenu cinéphile. À peine entré au CNRS, il change de sujet de recherche et, au lieu de traiter de généralités comme "l’esthétique industrielle dans le monde technique d’aujourd’hui", choisit de travailler sur le cinéma, ce qui était alors inhabituel, celui-ci étant encore considéré par l’institution comme un divertissement. Il demanda au Centre le remboursement du prix de ses billets, au rythme de quatre séances par jour, mais cela lui fut refusé.
Il note au passage que Herbert Marcuse, comme la majorité de l’École de Francfort, continuaient à dédaigner le 7e Art, considéré comme aliénant pour les masses. Du point de vue théorique, il se réclame a posteriori de Jean Epstein, de Béla Balázs et de Siegfried Kracauer. Dans sa postface de 2018, il rend hommage à Gilbert Cohen-Séat, d’après lui un "personnage extraordinaire" qui introduisit la "filmologie" à la Sorbonne dès 1948.

On trouvera, dans l’ouvrage, des critiques de films comme Les Amants de Louis Malle (1958), Les Tricheurs de Marcel Carné (1984), Le Cri de Michelangeloo Antonioni (1957), et des analyses portant sur la situation du cinéma français de l’époque, sur la spécificité du médium, sur l’adaptation pour le grand écran de textes littéraires, sur le traitement de grands thèmes comme "l’étranger vu par l’image", et sur la représentation filmique de l’amour ou celle de la mort.

Selon le sociologue, le cinéma permet de retrouver les mythes universels, bien entendu sous des habits différents - ainsi, le film noir serait un avatar de la tragédie shakespearienne. Il prend également en compte la question de la réception, par exemple à travers l’influence du cinéma sur la jeunesse. Les stars y trouvent, bien sûr, une place de choix.
Outre un chapitre entier que publia en 1956 la revue Esprit, sont repris un texte sur Ava Gardner, un autre sur Arthur Miller et Marilyn Monroe, un troisième sur James Dean. Enfin, il consacre près de cent de pages à "l’expression téméraire" du cinéma-vérité et à sa coréalisation avec Jean Rouch de Chronique d’un été (1961).

Edgar Morin étudie aussi bien des classiques comme Ivan le Terrible de S.M. Eisenstein (1944) que le tout-venant : Patrouille de choc de Claude Bernard-Aubert (1957), Les Trois Lanciers du Bengale de Henry Hathaway (1935), ou Zarak le valeureux de Terence Young (1956). Son goût est celui d’un cinéphile type de l’époque : Ingmar Bergman, Michelangelo Antonioni, Alain Resnais.
On sent qu’il fréquentait les salles du Quartier latin. En revanche, il ne mentionne guère la Cinémathèque, et ne semble pas s’être intéressé plus que ça au mouvement des ciné-clubs. De même, comme d’illustres intellectuels - de Roland Barthes à Gilles Deleuze, en passant par Christian Metz -, il passe sous silence le cinéma expérimental et underground.
Son style, clair et toujours accessible, vise à rendre lisible "l’art complexe" qu’est pour lui le cinéma. Edgar Morin est, en ce sens, un grand pédagogue. Il a, durant toute sa carrière, voulu "interroger le cinéma, l’envisager dans sa totalité humaine". Ce propos, tiré de son livre Le Cinéma ou l’homme imaginaire (1956) garde toute son actualité.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°387, mai 2018


Edgar Morin, Le Cinéma, un art de la complexité. Articles et inédits 1952-1962, présentation par Monique Peyrière, et Chiara Simonigh, Paris, Nouveau Monde éditions, collection "Cinéma", 2018, 624 p.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts