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Icher, Bruno (livre)
Quinzaine des Réalisateurs (2018)
publié le vendredi 12 août 2022

par Lucien Logettte
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018

Bruno Icher, Quinzaine des Réalisateurs, Paris, Riveneuve, 2018.


 


La Quinzaine a donc fêté ses 49 ans et sa 50e édition.
Fêté de belle façon, à travers une exposition, un livre et une reprise presque intégrale du programme millésimé 1969, premier du genre. Nous n’avons pas eu le temps de suivre, en ce printemps, la rétrospective à la Cinémathèque de Bercy, le temps, ni même l’envie, de crainte de constater combien ce qui nous avait enchantés à l’époque avait peut-être mal supporté l’épreuve des décennies, et préférant conserver dans leur jus les souvenirs de Partner de Bernardo Bertolucci (1968) ou de The Trip de Roger Corman (1967).

Faute d’avoir visité l’exposition cannoise (décidément !), il nous reste l’ouvrage de Bruno Icher, qui au moins ne s’inscrit pas dans l’éphémère et permettra de renseigner les futures générations de cinéphiles.
L’auteur bénéficiait d’un préjugé favorable : après Télérama (nobody’s perfect), il fut un des rares critiques lisibles de Libération, qu’il semble avoir quitté, ce qui est une preuve de bon goût. En outre, trop jeune pour avoir connu les premiers jours de la Quinzaine, il a pu traiter le sujet avec le regard neuf de l’historien. Lecture faite, nous devons corriger la phrase précédente : ce n’est pas "il a pu" qu’il convenait d’écrire, mais "il aurait pu". Nous y reviendrons.

Question initiale : la QR étant une enfant de 68, ou plutôt du Festival interrompu de Cannes 1968, pourquoi commencer l’histoire en 1967 ?
Pour présenter Pierre-Henri Deleau, le premier délégué de la section, son activité lilloise, son arrivée à Paris, sa découverte de la Cinémathèque, ses rapports avec le père fondateur ? Était-il bien nécessaire de revenir en détail sur l’Affaire Langlois, les manifestations, Cannes 68, tous événements maintes fois décrits ? On se retrouve déjà en page 50 - le texte s’achève en p. 166 - que les choses qui nous intéressent n’ont pas encore été abordées. Les prémisses importent, certes, mais…

Une fois entré dans le vif, ça va mieux. Les conditions parfaitement chabraques qui président à l’organisation de la première édition - 68 longs et 40 courts sélectionnés -, l’amateurisme de l’équipe et l’improvisation constante, tout cela est bien restitué. L’utopie était encore de saison et personne n’était dérangé par ce grand foutoir. Bruno Icher suit ensuite l’évolution de la section et l’accession progressive à son futur statut, qui contraindra Gilles Jacob, dont les relations avec Pierre-Henri Deleau étaient électriques, à lancer, en 1978, la section du festival officiel, Un Certain Regard, en contre-feu.

Tout cela est bel et bon, mais aurait été encore mieux si, sans doute à l’étroit dans les limites imposées, l’auteur ne débordait parfois - ainsi, l’entretien avec Benjamin Baltimore, affichiste arrivé dans les années 80 (p. 150), ou l’évocation, par Olivier Jahan, de la "fête monumentale de 1983" (p. 165). Autant conserver ces témoignages pour la suite - les 60 ans de la QR, par exemple.

Mais ne chipotons pas, le livre est agréable à lire et vient compléter celui de Olivier Thévenin, paru il y a juste dix ans (1). Le seul problème, c’est que Bruno Icher a signé un ouvrage de journaliste et non d’historien. Ce qu’il a gagné en alacrité, il l’a perdu en exactitude.
Expliquons-nous. L’historien au travail doit connaître suffisamment son sujet pour pouvoir juger de la crédibilité des témoignages recueillis. Rien n’est plus trompeur que la mémoire des survivants.
Ainsi, la manifestation du 20 février 1968 devant le siège de la Cinémathèque en soutien de Henri Langlois. Pierre-Henri Deleau, Patrick Deval, Jackie Raynal décrivent en détail (p. 36) l’immeuble de l’avenue de Messine pris d’assaut. Or, si un immeuble fut pris d’assaut, c’est celui de la rue de Courcelles, lieu de la manif’. (2)
Idem pour "Lotte Eisner, souvent à la caisse de la rue d’Ulm" (p. 21). Jamais, au cours des quelques milliers de séances suivies entre 1961 et 1968, nous n’y avons vu la chère Lotte à la caisse, mais à sa place, au milieu du premier rang.
Idem (bis) pour l’affirmation (p. 26) que "seules parmi les revues, Positif et Les Cahiers rendaient compte du nouveau cinéma", de quoi faire sourire les lecteurs anciens de Cinéma 6…, Image et Son, Téléciné, Jeune Cinéma et autres.

Ainsi, "les jeunes réalisateurs allemands, ignorés des cinéphiles, et impressionnés par la création de la QR, se sentent pousser des ailes" (p. 97). Quid de tous ceux qui ont tourné dès 1966, Jean-Marie Straub, Volker Schlöndorff, Peter Fleischmann, Alexander Kluge, et même Werner Herzog, Ours d’argent à Berlin 1968, tous largement connus des amateurs ?

Passons sur les erreurs factuelles - "Pierre Barbin, jeune homme dévoré d’ambition" (p. 30), alors qu’il avait 42 ans en 1968, et avait créé le Festival de Tours en 1955 (3) ; Claude Mauriac, fils de et écrivain émérite, qui devient "la Française Claude Mauriac, critique" (p. 85), associé au "Britannique Carl Foreman", un des plus célèbres scénaristes hollywoodiens blacklistés, ou David Carradine qui devient John (p. 77).
Il n’est pas agréable de jouer les pions, mais devant un ouvrage qui servira forcément de référence, on se doit de souligner ce qui coince.

Lucien Logettte
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018

1. Olivier Thévenin, La S.R.F. et la Quinzaine des Réalisateurs, 1968-2008. Une construction d’identités collectives, Aux Lieux d’être, coll. Mondes contemporains, 2008.

2. On en voit les images dans le film de Jacques Richard, Le Fantôme d’Henri Langlois (2004)

3. "Barbin, Pierre (1926-2014)", Jeune Cinéma en ligne directe.


Bruno Icher, Quinzaine des Réalisateurs, Société des réalisateurs de films. Les jeunes années, 1967-1975, dessins de Benoît Grimalt, Paris, Riveneuve, 2018, 184 p.



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