home > Livres & périodiques > Livres > Barouh, Benjamin (livre)
Barouh, Benjamin (livre)
Saravah, c’est où l’horizon ? (2018)
publié le vendredi 12 août 2022

par Robert Grélier
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018

Benjamin Barouh, Saravah, c’est où l’horizon ? 1967-1977, Marseille, éd. Le Mot et le reste, 2018.


 


Pour parler de Pierre Barouh, découvreur de talents, l’auteur se devait de citer cette phrase du poète brésilien Vinicius de Moares : "La vie, c’est l’art des rencontres". Parolier, musicien, interprète, comédien, assistant, réalisateur et chef d’entreprise, il a été tout cela à la fois. Esprit brouillon, fidèle dans ses amitiés, faisant confiance à tous ceux qui le sollicitaient : musiciens, poètes, chanteurs, financiers peu scrupuleux, il vivait constamment dans le présent. Éternel adolescent épris de voyage et de rencontres fortuites, il parcourait le monde à la recherche de musiciens originaux et de musiques nouvelles. Ce sera tout d’abord le Brésil, pays avec lequel il tissera des liens qui dureront jusqu’à sa mort, notamment avec Naná Vasconcelos.

Devenu riche grâce au "shabadabada" de Un homme et une femme, de Claude Lelouch (1966), il crée ses propres studios et, sous le label Saravah, produit une pléiade d’artistes, la fine fleur des années 60 et 70. Exigeant sur la qualité sonore de chaque disque, il crée le "son Saravah", notamment avec le saxophoniste Barney Wilen. Ce fameux timbre, on le retrouvera dans son disque Moshi, improvisation mixée sur des musiques marocaines, algériennes, sahariennes, nigériennes, préalablement enregistrées au cours d’un voyage de plusieurs mois de Tanger à Dakar. Ce disque est à l’image du poète démiurge Pierre Barouh : expérimental, original, il est comme l’était à la même époque l’Atelier de Création radiophonique de France Culture, où le politiquement correct n’existait pas encore. Il est vrai que dans ces années-là, l’université n’avait pas envahi le champ artistique. (1)

Pierre Barouh entretint une relation difficile avec le cinéma.
C’est après avoir vu Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov (Palme d’or 1958) qu’il écrit sa première grande chanson "Les Filles du dimanche". Lors de la projection du film Les Visiteurs du soir, trois mots (Démons et merveilles) de la chanson de Jacques Prévert suffisent à cet enfant juif, caché dans une ferme pendant quatre années, pour comprendre que la vie est plus importante que tout.
À 15 ans il disait "chanter me semble un mode d’expression frivole. Le cinéma me fascine. Je serai probablement réalisateur un jour". Une prophétie qui n’est accomplie que par intermittence - quelques longs métrages et plusieurs dizaines de kilomètres de pellicule impressionnés jamais montés ou perdus.

Malgré l’énergie déployée pendant tournage et montage, ses films ont la couleur de l’inachevé, propre à ce touche-à-tout du spectacle. Seule la subversion l’intéresse. C’est au spectateur qu’il revient de trouver les clefs du récit. La perfection technique n’est pas pour lui, et il place sa confiance dans deux chefs opérateurs, Jean-Michel Humeau et Robert Destanque, qui le suivront pendant plusieurs années. The Labyrinth ou L’Album de famille (1976) est exemplaire. La préparation et la représentation d’une fête dans un village de Dordogne sont le sujet d’un reportage que l’auteur prétend transformer en fiction. Un point fort dans ce film, le débat entre Pierre Barouh et Robert Destanque, venu pour trois jours afin d’aider le chanteur à structurer ses rushes. Entre la confusion de l’un et le pragmatisme du professionnel, aucun accord n’est possible. L’Album de famille, entre rushes et débats, apparaît aujourd’hui comme le reflet d’une époque où tout semblait possible.

Après mai 68, Barouh tente une vraie production. Il adapte un roman de Marc Cadiot et réalise Le Divorcement (1979) avec Léa Massari et Michel Piccoli. Présenté en compétition à Locarno en 1979, le film ne rencontrera pas son public. (2)
Avec détermination, Benjamin Barouh est parti à la quête d’informations sur son père. Ce ne fut pas toujours facile. Certains témoins avaient disparu, et ce sont leurs enfants qui répondaient. Toutefois l’auteur a réussi à brosser, à travers sa mosaïque, un portrait assez juste de cet artiste protéiforme, visionnaire talentueux.
De Francis Lai à Claude Lelouch, de Arezki Belkacem et David MacNeil à Jean-Michel Humeau, sans oublier les secrétaires de l’entreprise Saravah, tous ont répondu présent pour participer à cette biographie inhabituelle. On croise au fil des pages les noms de Jacques Higelin, Julien Clerc, Jean-Jacques Goldman, Françoise Hardy, Carole Laure & Lewis Furey, Brigitte Fontaine & l’Art Ensemble of Chicago, pour n’en citer que quelques-uns. La biographie fourmille de renseignements sur la famille Saravah et les dix années de son existence.

Robert Grélier
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018

1. En 1954, dans les répartitions des groupes professionnels, dans des statistiques de l’INSEE, les artistes ne sont pas considérés comme des intellectuels et figurent dans le neuvième groupe où ils côtoient le clergé, l’armée, et la police.

2. Un jour le DVD du Divorcement est apparu sans que Pierre Barouh en fût averti. Un piratage, sans aucun doute.


Benjamin Barouh, Saravah, c’est où l’horizon ? 1967-1977, Marseille, éd. Le Mot et le reste, 2018, 304 p.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts