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Ennio (2021)
de Giuseppe Tornatore
publié le mercredi 6 juillet 2022

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 6 juillet 2022


 


Le documentaire de Giuseppe Tornatore consacré au compositeur Ennio Morricone mérite d’être vu, malgré quelques défauts que nous nous devons de signaler pour rester crédibles. La structure, tout d’abord, qui suit un ordre chronologique et non thématique. Sa longueur excessive, qui ne rend pour autant l’objet exhaustif, l’auteur ressassant un même compliment ("Morricone était génial") sur le schéma du docu le plus tradi : gros plan du héros dans son immense appartement suivi d’un contrechamp sur un témoin digne de foi et illustré d’un exemple glané dans un clip de variétés des années soixante et dans un des cinq-cents longs métrages auxquels le musicien a collaboré artistiquement. Ce qui eût pu, eût dû tenir en cinquante minutes se prolonge indéfiniment - deux heures-trente "hors taxe" (1).


 

Pourtant le personnage est attachant, à la fois résolu et réservé. On en apprend un peu plus sur lui, sur ses origines modestes, sur un père trompettiste qui exigea qu’il se maintienne dans le jeu de "tromba", sur son épouse dévouée à sa cause, celle d’un créateur et non d’un interprète, sur son admiration pour Igor Stravinsky et pour son maître au conservatoire, Goffredo Petrassi. Du premier, il garde le souvenir d’une répétition à laquelle il assista en catimini, il y a des dizaines d’années, la porte du théâtre étant restée entr’ouverte, de ce qu’il considère comme l’œuvre majeure du compositeur russe, "Symphonie de psaumes" (1930). Du second, il garde en mémoire leur touchante promenade après la note de 9,5 obtenue par lui au concours de sortie du conservatoire.
Son film ayant été mis en boîte avant la cérémonie aux Invalides en septembre 2021 qui a célébré avec pompe la disparition de Jean-Paul Belmondo, Giuseppe Tornatore n’a pas pu inclure de séquence montrant la garde républicaine jouant le thème du Professionnel de Georges Lautner (1981).
Nous apprenons avec une certaine surprise que Ennio Morricone a fait partie de l’avant-garde musicale d’après-guerre. Une archive de 1967 nous le montre au sein d’un sextet contemporain, le Gruppo di Nuova Consonanza, dans une improvisation collective, quasiment lettriste ou d’esprit "free". Il cite sa visite à Darmstadt et évoque John Cage qu’on aperçoit à l’écran dans une performance Dada avec piano préparé.


 

Malheureusement, le réalisateur ne situe jamais l’apport réel du musicien, que ce soit dans le domaine de la musique "nouvelle" ou dans celui de la musique de film. À aucun moment, ne sont cités Luigi Nono, Luigi Dallapiccola, Luciano Berio, ni même Karlheinz Stockhausen qui, il est vrai, et contrairement à lui, considéra de façon provocante que l’attentat du 11 septembre contre le World Trade Center était "la plus grande œuvre d’art pour le cosmos tout entier". Ne sont jamais mentionnés ses collègues en musique mineure, appliquée ou d’ameublement dans le domaine de la chanson populaire qu’il contribua à relancer dans la succursale italienne de RCA, les Mina, Paul Anka, Gianni Morandi, des arrangeurs audacieux de l’époque comme Phil Spector, Brian Wilson, George Martin ou Hank Marvin, ou dans l’illustration sonore de films - Nino Rota est absent des radars.


 


 

Par contre, sont enfilés les perles et les clichés de seconds couteaux transalpins (bavardages de personnages qui ne nous apprendront pas grand-chose), ou de vedettes du showbiz un chouïa hors sujet (le guitariste surcoté Pat Metheny, le chanteur à "gros anneau dans son zoreille" Bruce Springsteen, l’homme au Gibus Zucchero, etc.). Joan Baez, elle, comme toujours, est impeccable, qui reconnaît avoir été impressionnée par l’ajout, après coup, à sa voix, de l’orchestre symphonique amplifiant le thème principal de Sacco e Vanzetti de Giuliano Montaldo (1971). Elle nous apprend qu’au tout dernier moment Ennio Morricone lui proposa d’écrire des paroles sur un air qu’il venait de noter, qui devint le tube planétaire "Here’s to you".


 


 


 

Clint Eastwood, qui sait sa dette envers le western-spaghetti de Sergio Leone, estime que le compositeur est parvenu à le "dramatiser", là où il pouvait paraître transparent. Grâce sans doute aux archives de la famille Leone, on a retrouvé une photo de classe montrant le futur réalisateur et son copain futur musicien, ainsi que des making-off de films comme Once Upon a Time in America (1984) où le réalisateur motive Robert De Niro en lui diffusant à la prise de vue la musique que Ennio Morricone avait à l’avance composée.


 


 

La notion de plagiat - "nécessaire", le progrès l’impliquant, à en croire Lautréamont - est abordée à propos du vibrato à la trompette du "Deguello" de Dimitri Tiomkin, dans une scène de Rio Bravo (1959), marotte ou une fixette de Sergio Leone.
Le côté bruitiste, "futuriste", "concret" ou électro-acoustique des compositions pour le cinéma de Ennio Morricone a été sous-estimé, ou considéré comme accessoire, comme "muzak", pour bruitage de cartoon.
Le compositeur semble content d’avoir placé à l’un de ses fans, Quentin Tarantino, une symphonie néoclassique au lieu d’une B.O. plus anecdotique souhaitée pour The Hateful Eight (2015).


 

C’est Quincy Jones, son collègue, qui lui remettra l’Oscar longtemps par lui espéré.

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "Hors taxe", c’est à dire sans compter les pubs et les annonces de la salle d’art et d’essai par(nas)isienne où nous nous étions rendus l’après-midi pour nous rafraîchir.


Ennio. Réal, sc : Giuseppe Tornatore ; ph : Giancarlo Leggeri & Fabio Zamarion ; mont : Massimo Quaglia. Avec Ennio Morricone, Giuseppe Tornatore, Carlo Verdone, Clint Eastwood, Quentin Tarantino, Oliver Stone, Hans Zimmer, Barry Levinson, Dario Argento, Bernardo Bertolucci, Quincy Jones, Bruce Springsteen, Lina Wertmüller, Marco Bellocchio, Paolo Taviani, Vittorio Taviani, Zucchero Fornaciari, Roland Joffé, John Williams, Enzo G. Castellari, Pat Metheny, Mike Patton, James Hetfield (Italie, 2021, 156 mn). Documentaire.



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