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Grando, Jean-Noël (livre)
Danielle Darrieux, Stradivarius de l’écran (2018)
publié le dimanche 14 août 2022

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

Jean-Noël Grando, Danielle Darrieux, Stradivarius de l’écran, Albi, éd. Un Autre Reg’Art, 2018.


Un an tout juste après sa disparition, le 17 octobre 2017, l’actrice est loin d’être oubliée. C’est même le troisième ouvrage qui lui est consacré depuis l’an dernier (1).
Il faut reconnaître qu’il y a toujours de quoi revenir sur celle qui a traversé huit décennies de cinéma, français et autre, entre Le Bal de Wilhelm Thiele (1931) et Pièce montée de Denys Granier-Deferre (2010), et qui a su vieillir en même temps que ses personnages, les actrices qui ont pu assurer, à 90 ans, le premier rôle dans un film - Nouvelle chance de Anne Fontaine (2006) - doivent se compter sur la cinquième part des doigts d’une seule main.

Le plus étonnant avec elle, c’est que la fascination qu’elle éveillait ait ainsi traversé les générations, non seulement les spectateurs qu’elle avait charmés en son premier bel âge - Raymond Chirat était intarissable sur Battement de cœur de Henri Decoin (1939), mais aussi ceux dont elle illumina les années 50, du Plaisir de Max Ophüls (1952) à Marie-Octobre de Julien Duvivier (1959), ceux dont l’enfance fut nourrie par transfusion des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demi (1967), ou ceux qui ne la connurent que tardivement, à travers Paul Vecchiali dans En haut des marches (1983) ou Marie-Claude Treilhou dans Le Jour des rois (1991) (2). Dernière catégorie à laquelle appartient sans doute Jean-Noël Grando, né en 1971, qui n’a donc dû, raisonnablement, la découvrir qu’à partir de Quelques jours avec moi de Claude Sautet (1988).

Ce qui n’empêche pas la passion : la preuve en est ce livre de dévotion - l’auteur, trop modeste, déclare en liminaire avoir voulu simplement "donner un coup de chapeau à une comédienne". On est bien au-delà de cette politesse, avec ces deux cents pages toutes offertes à la célébration de Danielle Darrieux.
Mais c’est une célébration sans œillères : Jean-Noël Grando admet qu’elle a pu tourner dans des films qui ne la méritaient pas (pas si nombreux d’ailleurs) et ne dissimule pas les passages en apnée, pour des causes diverses - quatre ans entre La Fausse Maîtresse de André Cayatte (1942) et Au p’tit bonheur de Marcel L’Herbier (1946), seulement quatre films entre La Maison de campagne de Jean Girault, hélas (1969) et Une chambre en ville de Jacques Demy (1982) - simples trous de carburation dans une filmographie sans équivalents.
Car elle a tourné avec les plus grands - n’aurait-elle paru que dans les trois chefs-d’œuvre de Max Ophuls que sa place dans l’Histoire eût été assurée -, et lorsqu’elle tournait avec des réalisateurs de moindre calibre (Carlo Rim) ou carrément toxiques (Léo Joannon), elle leur permettait de signer leurs meilleurs films : La Maison Bonnadieu (1951), pour le premier, et Quelle drôle de gosse ! (1935) pour le second.

Elle représente un magnifique exemple d’actrice à l’intelligence instinctive : plongée dans le cinéma à 14 ans sans avoir suivi aucun cours, elle n’a jamais appris à paraître, elle a su immédiatement ce qu’il lui fallait faire. Dès Le Bal, le jeu - phrasé, déplacements - de cette adolescente encore mal déganguée ne ressemble à celui d’aucune des comédiennes du début du parlant, si peu supportables désormais.
Elle est déjà parfaitement elle-même, d’un naturel qui ne la quittera pas, même lorsqu’elle devra se prêter aux contraintes hollywoodiennes. Dans The Rage of Paris de Henry Koster (1937), elle est aussi juste que dans Un mauvais garçon de Jean Boyer (1936) ou dans Retour à l’aube de Henri Decoin (1938). Le même naturel qui lui permet de passer de la cocotte de Occupe-toi d’Amélie de Claude Autant-Lara (1949) à l’épouse vénéneuse de La Vérité sur Bébé Donge de Henri Decoin (1952).

L’auteur examine soigneusement chaque période, privilégiant certains titres - une treizaine - qui ont laissé des traces plus profondes, comme, outre certains déjà cités, Mayerling de Anatole Litvak (1936) ou Huit femmes de François Ozon (2002).
Et il complète la filmographie, par des annexes moins évidentes à établir : une théâtrographie (1937-2003) complète, et une discographie qui, même réduite aux seules chansons de films, ravive nos souvenirs (ah, "l’instant du premier rendez-vous"…).
Il s’interroge en conclusion : que reste-t-il de Danielle Darrieux ?
Question purement rhétorique, évidemment.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

1. Clara Laurent, Danielle Darrieux, une femme moderne, Paris, Hors Collection, 2017 ; Dominique Delouche, Madame de… Rome, Gremese, coll. Les meilleurs films de notre vie, 2017.

2. Nous avons même rencontré une élève de 6e, absolument fanatique, et qui, à 11 ans, analysait brillamment son jeu dans L’Affaire Cicéron de Joseph Mankiewicz (1952).


Jean-Noël Grando, Danielle Darrieux, Stradivarius de l’écran, préface de Jean-Claude Carrière, Albi, éd. Un Autre Reg’Art, 2018, 200 p.



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