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Gerry (2002)
de Gus Van Sant
publié le mercredi 17 août 2022

par Heike Hurst
Jeune Cinéma n°288, avril 2004

Sélection du Festival de Locarno 2002

Sorties les mercredis 3 mars 2004 et 17 août 2022


 


Gerry a été révélé par le Festival de Locarno en 2002, mais il a fallu le succès de Elephant, palme d’or à Cannes 2003, pour que le film sorte enfin.


 

Un travelling hypnotique, un long plan-séquence ouvre le film : une voiture, les deux Gerry à bord, file à toute allure à travers un paysage désertique. Les deux Gerry vont laisser leur voiture, marcher, quitter le chemin, s’égarer.


 


 

Ils n’ont ni vêtements adaptés, ni bouteille d’eau en bandoulière. Ils sont livrés à leur environnement. La nature n’est pas encore hostile. On les voit cheminer côte à côté, leurs têtes remplissent l’écran durant un long moment - hommage au cinéaste hongrois Bela Tarr, qui a donné quelques conseils pour la réalisation.


 


 

Combien de temps vont-ils marcher ainsi sans se parler ? Ce qui a commencé comme un détour, qu’on prend juste pour éviter des promeneurs bruyants sur le sentier balisé, vire au cauchemar. Un des deux Gerry n’en peut plus. Il le confie à son compagnon. Il se meurt.


 


 

Gus Van Sant expliquait à Locarno qu’il s’agissait d’un mercy-killing – donner la mort pour éviter à l’autre d’autres souffrances. La scène est grandiose. Nous ne voyons pas leurs visages, nous devinons la lutte des corps. Nous ne voyons réellement que les semelles des rangers de Gerry (Matt Damon), seule chose reconnaissable de leurs corps entremêlés - une sculpture compacte - au milieu de l’étendue aveuglante du lac de sel qu’ils essaient de traverser.


 

Ils ont marché trois jours sans boire et sans manger. Ils voient des mirages. Cette mort sur le lac, est-ce vrai, est-ce imaginé ? Le t-shirt de Gerry (Casey Affleck) a une grande étoile jaune au milieu, l’étoile juive du scarifié, étoile du Vietnam, le Vietnam où sont morts tant de jeunes Américains ? La question reste posée.


 

Le cinéma, c’est l’illusion du vrai, la sensation du réel, du vécu. Gerry est un film d’illusion, un film hallucinant et hallucinatoire sur le mirage : mirage de l’autre qui serait le même, puisque les Gerrry sont deux. Film sur l’autre, le double de soi et sur l’illusion de venir au bout de cette épreuve sans dommages…
Film sur l’ignorance de la force qu’il faut pour les épreuves de force, film sur les sensations physiques du manque qui mènent à une expérience sensorielle quasi métaphysique dont parlent tous les grévistes de la faim.


 


 

Quand ils seront à bout de force, ils auront effectivement l’illusion de voir ce qu’ils désirent, une route, une voie qui les sorte de là, mais ce mirage n’est plus donné à voir à tous les deux… A male love story ? L’étreinte mortelle est filmée comme une étreinte amoureuse. Un film saisissant de force et d’ambivalence.

Heike Hurst
Jeune Cinéma n°288, avril 2004


Gerry. Réal : Gus Van Sant ; sc : GVS, Casey Affleck & Matt Damon ; ph : Harry Savides ; mont : Paul Zucker ; mu : Arvo Pärt. Int : Casey Affleck, Matt Damon. (USA, 2002, 103 mn).



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