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Qiu Ju, une femme chinoise (1992)
de Zhang Yimou
publié le mercredi 27 juillet 2022

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°219, janvier 1993

Sélection officielle à la Mostra de Venise 1992. Lion d’or.

Sorties le mercredis 9 décembre 1992 et 27 juillet 2022


 


Après trois films situés dans le passé de la Chine (1), Zhang Yimou nous propose une histoire d’aujourd’hui.
Une nouvelle fois, il confie à sa compagne, Gong Li, un rôle de femme en lutte contre la société. Mais cette fois, c’en est fini des belles images très composées comme dans Épouses et concubines (1991). Pour sa nouvelle héroïne, il trouve une nouvelle façon de filmer qui fait de son film (récompensé à Venise par le Lion d’or) une sorte de promenade dans la réalité de la Chine profonde. On craignait qu’il ne s’installe dans une sorte de calligraphie qu’appréciait le spectateur occidental. Il sait aussi être plus authentique et on en est ravi.


 

Qiu Ju ressemble à ces "mères courage" qui sillonnent le cinéma pour y laisser leurs traces émouvantes. Femme de la campagne, portant vaillamment son enfant à naître, elle cherche à obtenir réparation contre le chef local qui a battu son mari pour une histoire de bout de terre. De juridiction en juridiction, du village à la ville, son trajet est à la mesure de son obstination. À partir d’un scénario d’une simplicité exemplaire, Zhang Yimou promène son regard et sa caméra sur cette Chine engluée dans une bureaucratie paralysante. Il suffit pourtant que cette femme refuse toute compromission pour qu’apparaissent les failles et surtout la bêtise de ce système.


 


 


 

Il parait que le public chinois rit beaucoup à la vision du film car il y reconnaît des situations auxquelles il est quotidiennement confronté. Pour nous, l’impression que dégage le film est différente. Il s’agit plus d’une plongée dans une réalité à la fois étrangère et universelle. Universelle car des Qiu Ju, il en existe aussi ailleurs. Étrangère car le cinéaste nous donne aussi à voir, à sentir mille petits détails de la vie qu’il capte avec une extrême précision en suivant son héroïne. Lorsqu’elle se promène dans la ville pour rencontrer les responsables auprès desquels elle veut faire aboutir sa requête, lorsqu’elle vend au marché ses cargaisons de piments pour financer ses démarches, c’est en même temps toute une Chine lointaine qui entre dans le champ au fur et mesure que la caméra découvre le monde qui l’entoure. Sur un mur couvert d’affiches, nous avons droit à un raccourci de l’évolution du pays. Un portrait de Mao voisine avec Arnold Schwarzennegger, les publicités pour produits japonais côtoient des photos de beautés occidentales et chinoises.


 


 


 

Ce film doit encore beaucoup à la prestation de Gong Li. Méconnaissable dans ses habits de paysanne et à cause de sa grossesse, elle donne à son personnage l’authenticité dont il avait besoin. Elle semble même avoir effacé de son visage cette beauté naturelle qui habitait les films précédents de son réalisateur et ami. Sa démarche donne au film ce rythme juste sans lequel il ne nous atteindrait pas.


 


 


 

Mais au delà du souci de vérité qui guide la démarche de Zhang Yimou, on retiendra la dénonciation tranquille d’un appareil judiciaire et politique qui enferme les vies dans un carcan. La fin du film apporte à cette dénonciation un poids particulier, car au-delà des individus, de leurs conflits mais aussi de leur solidarité, c’est le triomphe absurde de l’autorité en place qui étouffe le sentiment. Sans colère, sans dogmatisme, Qiu Ju se veut avant tout un constat, mais aussi l’affirmation du droit de l’individu au respect. C’est ce qui rend le personnage de cette femme exemplaire si attachant. Non pas héroïque, mais tout simplement elle-même jusqu’au bout.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 219, janvier 1993

1. Il s’agit de : Le Sorgho rouge (1987), Ju Dou (1989), Épouses et Concubines (1991). Un quatrième, Opération jaguar (1989) se passe de nos jours, mais il n’est jamais sorti en France.


Qiu Ju, une femme chinoise (Qiu Ju da guan si). Réal : Zhang Yimou ; sc : Liu Heng, d’après un roman de Yuan Bin Chen ; ph : Xiaoning Chi, Hongyi Lu & Xiaoquin Yu ; mont : Yuan Du ; mu : Zhao Ji Peng ; cost : Huamiao Tong. Int : Gong Li, Peiqi Liu, Liuchun Yang, Quesheng Lei, Zhijun Ge (Chine, 1992, 101 mn).



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