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Homme qui aimait les femmes (l’) (1977)
de François Truffaut
publié le mercredi 3 août 2022

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°103, juin 1977

Sélection oficielle en compétition de la Berlinale 1977

Sorties les mercredis 27 avril 1977, 28 juin 2000 et 3 août 2022


 


Le "héros" de François Truffaut, Bertrand Morane, ingénieur à Montpellier, a un beau jour décidé d’écrire un livre sur sa vie.
Sa vie, c’est l’inventaire de ses conquêtes féminines : car Bertrand est un amateur, un collectionneur de femmes, pire, un obsédé des jambes de femmes. Comment peut-on, pensons-nous d’abord, s’enfermer dans un tel sujet ? Qu’est-ce que François Truffaut avait à faire des histoires de cul d’un Don Juan de province ?... Et pourtant, il faut bien l’admettre, il a gagné son étrange pari. De ce qui pouvait être une lourde rigolade de vulgarité boulevardière, il a fait - avec un doigté de virtuose - un film très brillant et sensible.


 

Pour cela il fallait savoir rompre avec les conventions d’un genre auquel le sujet semblait rattacher le film. Et tout d’abord Bertrand Morane n’est pas un Don Juan, mais Charles Denner, avec son sourire si rare, son air malheureux, rentré, presque traqué, rien du séducteur classique en vérité. Or, c’est pour lui que le film a été écrit.


 

Il en découle, dans le scénario même, un prolongement de cette contradiction d’où découle l’ironie. Ainsi, Bertrand dans son livre, avec une belle sincérité, relate ses échecs aussi bien que ses conquêtes. Échec, par exemple, avec cette téléphoniste qu’il appelle Aurore parce qu’elle fait chaque matin le service du réveil, que chaque matin il caressera téléphoniquement, et dont il ne verra jamais que la silhouette fugitive disparaissant au coin d’une rue au moment précis où il croyait avoir enfin obtenu d’elle un rendez-vous.


 

Et puis, ce tombeur de femmes, ce sont souvent les femmes qui le possèdent. Ainsi, cette fougueuse Delphine qui entendait choisir elle-même "le moment, l’endroit et la manière" de faire l’amour. Il faut bien lui céder quand elle est brusquement inspirée par un lit d’exposition de meubles en plein milieu d’un grand magasin.


 

Cette fois-là on rit de bon cœur. D’autres fois aussi. Mais de rires grivois, point. Le film est plutôt tissé de sourires rapides. Souvent la tendresse ou la mélancolie viennent voiler ce sourire. Ainsi, le dialogue avec Aurore - une des plus jolies inventions du film. Ainsi, le retour de prison (elle avait tué son mari) d’une Delphine toute assagie et mûrie par l’épreuve.


 

Ce qui sauve le film à la fois de toute vulgarité et de toute gloriole masculine, c’est sans doute qu’à l’inverse du séducteur classique qui se fait valoir à travers des femmes objets, Bertrand paraît les aimer réellement. À son enterrement qui vient clore le film - un enterrement où il n’y a que des femmes -, ses anciennes amoureuses défilent devant la tombe. On dit qu’il a aimé l’une "pour son regard de myope", l’autre "pour son odeur de rousse", la troisième "pour son air d’orpheline"... Aucune n’est conventionnellement belle. Bertrand a aimé (un moment) chacune pour sa différence, c’est-à-dire pour son existence même. Par cette présence de l’amour, le film mérite son titre et non pas celui - affreux - que Bertrand avait donné d’abord à son roman : "Le cavaleur".


 


 

Peut-on dire plus ? Geneviève dit du livre de Bertrand - donc, sans doute, aussi du film de François Truffaut - que "c’est un témoignage de ce que vont donner les relations entre hommes et femmes au 20e siècle. Il y aura toujours la part du jeu. Ce qui va changer, ce sont les règles du jeu. Ce qui va disparaître, ce sont les rapports de force". Geneviève, c’est la jeune femme qui au comité de lecture des éditions Betany a soutenu, seule au début, le livre de Morane. L’interprétation de Brigitte Fossey lui donne, dans tous ses gestes et ses attitudes, une classe qui la place elle, en effet, à égalité avec Bertrand.
Mais l’ensemble du film reste trop ambigu pour qu’on puisse lui donner une si haute portée. Il faut se contenter d’admirer que le talent de François Truffaut ait réussi à faire, à partir d’un mauvais sujet un bon film, à partir d’une matière première qui risquait fort d’être graveleuse, un divertissement raffiné.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°103, juin 1977


L’homme qui aimait les femmes. Réal : François Truffaut ; sc : François Truffaut, Suzanne Schifmann & Roger Fermaud ; ph : Nestor Almendros ; mont : Martine Barraqué ; mu : Maurice Jaubert ; déc : Jean-Pierre Kohut-Svelko ; cost : Monique Dury et Ted Lapidus pour Brigitte Fossey. Int : Charles Denner, Brigitte Fossey, Nelly Borgeaud, Geneviève Fontanel, Leslie Caron, Nathalie Baye, Valérie Bonnier, Jean Dasté, Sabine Glaser, Henri Agel (France, 1977, 120 mn).



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