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Mort d’un bureaucrate (la) (1966)
de Tomas Gutierrez Alea
publié le mercredi 7 septembre 2022

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022

Sorties les mercredis 6 mars 2002 et 7 septembre 2022


 


La Mort d’un bureaucrate de Tomás Gutiérrez Alea (1928-1996), classique du cinéma cubain, ressort sur nos écrans restauré en 4K. Son auteur fit ses études à Rome, au Centro sperimentale di cinematografia avant de faire partie, après la Révolution dans son pays, des fondateurs du prestigieux ICAIC (Instituto cubano del arte e industria cinematográficos). Ses œuvres du début sont des documentaires. La Mort d’un bureaucrate, réalisé en 1966, peu de temps après l’instauration du Parti communiste comme formation politique unique à Cuba, est son premier film de fiction. Il fut présenté cette même année au festival tchèque de Karlovy-Vary, mais ne sortit en France qu’en 2002.


 


 

Il s’agit avant tout d’une comédie légèrement macabre. Le film s’ouvre sur un enterrement, avec force plans sur les angelots affligés ornant les pierres tombales, qui donnent d’emblée au récit une tonalité baroque. En termes émus, comme il se doit dans de telles circonstances, un responsable politique ou syndical prononce l’éloge funèbre du défunt, Francisco dit Paco, "vrai prolétaire, ouvrier émérite spécialisé dans la production à la chaîne de bustes du héros national José Marti". Est rappelé à cette occasion qu’il mit au point une machine destinée fabriquer les effigies en grande série. Machine infernale qui finira par l’avaler, à l’instar du personnage joué par Charles Chaplin dans Modern Times (1936). Pour le remercier de son haut fait et honorer son sacrifice, et croyant bien faire, ses amis, ses collègues, ses camarades l’enterrent avec son livret de travail.


 

Le ressort tragicomique est simple mais des plus efficaces : ils privent ainsi ses ayants droit, sa veuve et son neveu de cette pièce capitale, nécessaire à l’obtention d’une pension.


 


 


 

Le cimetière est le décor principal du film. Les autres lieux sont divers bureaux illustrant les méandres de l’administration, et également la place publique, symbole de la Révolution, le plus souvent figurée par des photos ou des images d’archives. Dans l’une d’elles, Fidel Castro, de dos, harangue la foule immense.


 


 

Inutile de dire que le jeune homme, qui représente aussi les intérêts de sa tante, sera sans cesse renvoyé d’un service administratif à l’autre par des fonctionnaires nonchalants, indifférents, démotivés, voire arrogants, occupés par des tâches plus urgentes, hommes et femmes confondus.


 


 

À travers ce comique de situation point la critique politique.
On peut penser que, pour des raisons d’autocensure, Tomás Gutiérrez Alea ne pouvait, en 1966, aller plus loin dans sa dénonciation de la bureaucratie que Milos Forman dans Au feu les pompiers (1968) ou que dans Guantanamera (1995), son dernier film. C’est sans doute la raison pour laquelle il est amené, tel un ventriloque, à prendre la voix d’autres cinéastes pour condamner l’absurdité du monde réel.


 


 


 

Il va sans dire qu’on se régale des citations filmiques qui vont du corbillard de Entr’acte (1924) à l’usine chaplinesque, en passant par la destruction cathartique de Laurel & Hardy dans Big Business de James W. Home (1929), et des lancers de tartes à la crème du temps du burlesque. Le blocage de la société cubaine est signifié par celui des aiguilles de l’horloge de Safety Last (Monte là-dessus) (1923) auxquelles se cramponne Harold Lloyd. Les scènes de fonctionnaires chargés de dossiers font songer à l’adaptation par Orson Welles du Procès de Kafka (1962). Les scènes oniriques sont placées sous le signe de L’Âge d’or de Luis Buñuel (1930).

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022


La Mort d’un bureaucrate (La muerte de un burócrata). Réal, sc : Tomas Gutierrez Alea ; sc : Alfredo del Cueto & Ramon F. Suarez ; ph : Ramon F. Suarez ; mont : Mario Gonzalez ; mu : Leo Brouwer. Int : Salvador Wood, Manuel Estanillo, Silvia Planas, Gaspar de Santelices (Cuba, 1966, 85 mn).



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