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Vallée fantôme (la) (1987)
de Alain Tanner
publié le lundi 19 septembre 2022

par Alain Caron
Jeune Cinéma n°184, novembre 1987

Sélection officielle en compétition à la Mostra de 1987

Sortie le mercredi 16 septembre 1987


 


La Vallée Fantôme est une œuvre d’amour pour le cinéma. À l’instar de ce sentiment, le film est fait de douleur, de joie et d’angoisse. La douleur est la cicatrice par laquelle sourd et se résorbe toute création, la joie avec la découverte de l’image juste, et l’angoisse est dans la recherche. À la lecture du synopsis on pouvait craindre un travelling avant de plus. Un punaisage cinéphilo-nostalgique sans autre conséquence que des trous dans un mur. C’était mal connaître Alain Tanner pour qui chaque film conjoint une exigence et une remise en cause.


 

Dès les premiers plans du film, Paul, un cinéaste, transposition du cinéaste) en mal d’inspiration, marche dans sa tête. Chez Alain Tanner, les paysages mentaux possèdent une signification profonde. Ici, Paul arpente un paysage suisse battu par le vent, balayé par la neige. Ce dépouillement renvoie aux réflexions amères de Paul pour qui les images "vides de sens prolifèrent et se propagent comme le sida". Pour lui, le sens d’un film ne réside pas dans sa construction avec un début, un milieu, une fin. Il cherche davantage l’émotion et l’impact d’un personnage lourd d’existence réelle.


 

Depuis des semaines il traque dans les bureaux de casting une improbable actrice autour de laquelle il construira son film à venir. Cette fille, il la découvre fortuitement dans une boite de photos oubliées. Il s’agit de Dara, une italienne qui a fuit le stress du show-buisness pour mener l’existence banale d’une serveuse de bar. Paul délégue à sa recherche Jean, un assistant fraichement éclos du école du cinéma. À partir de là se noue une intrigue très banale à laquelle la coproduction n’est peut-être pas étrangère.


 

Alain Tanner s’arrange pour subvertir cette convention. La relation triangulaire n’est pas son propos. Il confronte surtout les actes de ses personnages à leur image mentale dominante. Pour Dara, il s’agit du père émigré qu’elle ira rejoindre en Amérique. Pour Jean, c’est le stéréotype de l’assistant. Quant à Paul, seule importe la quête du personnage absolu.


 


 

Au bout du chemin chacun rentre bredouille. Le père s’appesantit d’une épaisseur tyrannique, l’assistant n’est qu’un erzatz, le personnage de Paul, un fantasme. Ce constat d’échec est celui d’un cinéaste dans l’impasse. Déboussolé par le présent incapable de concevoir l’avenir de l’art qu’il aime, Alain Tanner nous livre un autoportrait sans fard qui émeut par son inachèvement et ses zones d’ombres.

Alain Caron
Jeune Cinéma n°184, novembre 1987


La Vallée Fantôme. Réal, sc : Alain Tanner ; ph : Patrick Blossier ; mont : Laurent Uhler ; mu : Arié Dzierlatka ; cost : Nathalie Tanner. Int : Jean-Louis Trintignant, Jacob Berger, Laura Morante, Caroline Cartier, Raymond Serra, Jane Holzer, Françoise Michaud, Cécilia Hornus, Anouk Grinberg, Michel Viala (France-Suisse, 1987, 102 mn).



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