home > Films > Garrincha, le héros du peuple (1963)
Garrincha, le héros du peuple (1963)
de Joaquim Pedro de Andrade
publié le dimanche 2 octobre 2022

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition à la Berlinale 1963
Sélection du Festival Biarritz Amérique latine 2022

Inédit en salle


 


Le festival biarrot (1) arborait cette année les "couleurs du Brésil". Rien de plus normal, dès lors, de faire une place au football, qui plus est une année de Mondial, ce sport dérivé de la soule (2), codifié par les Anglais au 19e siècle, dont les plus grands stylistes furent brésiliens, qui ont pour noms Mané Garrincha et Pelé. Manoel Francisco dos Santos (1933-1983), surnommé Garrincha et Arantes do Nascimento, dit Pelé - le "roi Pelé" -, se firent connaître de toute la planète en triomphant au championnat du monde de Suède, en 1958. La compétition avait été pour la première fois retransmise en direct à la télévision. Si Pelé reste le plus élégant meneur de jeu - du "beau jeu" - qu’ait connu cette discipline au siècle dernier, Garrincha est considéré par les spécialistes comme le meilleur dribbleur de tous les temps. Autrement dit, le plus rusé, le plus surprenant, le plus virevoltant. C’est ce que montre d’ailleurs la première partie du documentaire que lui consacra, en 1963, Joaquim Pedro de Andrade, une des principales figures du Cinéma novo.


 

Le film Garrincha, alegria do povo fut réalisé peu de temps après la victoire du Brésil à la coupe du monde de 1962 qui se déroula au Chili. Il fut restauré par la cinémathèque de São Paulo, en 2006, à partir d’un contretype, les négatifs ayant été détériorés par le syndrome du vinaigre. Si le son est un peu trop gueulard à notre goût, ce qu’un mixage fin aurait pu estomper, l’image 2K en revanche est impeccable.


 

Sur fond de samba, un diaporama permet au spectateur contemporain de se faire une idée des qualités du joueur mythique. Après des photos de journaux où figure le joueur entouré de personnalités politiques, suit cette phrase de l’écrivain Nelson Rodrigues  : "Si nous étions 75 millions de Garrincha, quel pays serait le nôtre, plus grand que la Russie, plus grand que les États-Unis".


 

En pré-générique, des plans illustrent la passion des Cariocas, enfants et ados, s’adonnant au foot sur la plage de Copacabana, délaissant leur outil de travail qu’est le petit caisson des cireurs de chaussures, traversant l’avenue Atlântica sans se soucier du trafic, grimpant sur une terrasse d’immeuble pour récupérer un ballon échappé à leur contrôle. Ce jeu se poursuit dans les rues et les terrains vagues. Après les crédits du film accompagnés, comme c’était l’usage à l’époque, de bruit de machine à écrire tapant sur les nerfs, on entre dans le vif du sujet. C’est-à-dire dans le vestiaire des gladiateurs modernes que sont les footballeurs. Ceux-ci se préparent en silence, se font masser, se bandent eux-mêmes chevilles et mollets - les protège-tibias n’étant pas encore inventés -, chauffent le gardien de buts en effectuant quelques tirs à huis clos. Sans commentaire, façon Euronews (3), nous est livré le contexte : le public protégé des intempéries par des parapluies pouvant gêner la visibilité du match, un stadier communiquant avec les organisateurs muni d’un talkie-walkie mastoc, les joueurs émergeant du bunker creusé sous le gazon.


 

Notre héros porte le maillot du club de Botafogo, aux rayures de matelas ou, si l’on veut, d’œuvre de Buren, en noir et blanc, que le film soit en couleur ou non - comme c’est ici le cas. Son dossard est floqué du numéro magique qu’est le 7. Garrincha est filmé sous toutes les coutures, qui sont nombreuses, pour ce qui le concerne. La scène avec un médecin du sport les détaille, radiographies à l’appui. Vu son physique, ses jambes arquées, ses genoux en compote, des os mal ressoudés à cause d’une rebouteuse lui ayant conseillé de se déplâtrer prématurément et de ne se soigner qu’avec des plantes, il n’aurait jamais pu, jamais dû exercer ce métier. Vient Garrincha en famille, avec ses six filles pouvant composer une équipe de hand, Garrincha en ville, capté par une caméra invisible pour tester sa popularité.


 

Joaquim Pedro de Andrade refait le match ou plutôt les deux matches-clés de Garrincha : celui de 1958 et celui de 1962. Dans la seconde partie du long métrage, le futur auteur de Macunaima (1969) se livre à une analyse des raisons, mais également des effets de la passion pour le football, un des moyens pour le peuple de pallier ses frustrations. Il produit une réflexion sur l’exploitation politique de l’image du footballeur célèbre, s’attache au petit peuple et à la classe moyenne se rendant au stade, qu’il dépeint par petites touches et par gros plans. Le film annonce de manière prophétique l’engouement immodéré, l’enthousiasme difficile à maîtriser, la violence de joueurs et de leurs fans sur le terrain, du désordre en dehors. Il illustre ainsi la naissance hooliganisme dans un sport qui fut autrefois celui de gentlemen. Il va de soi que le réalisateur ne pouvait, en 1963, imaginer la déchéance de son héros, qui sombra dans l’alcool, finit misérablement, mourut à l’âge de cinquante ans, tandis que Pelé semble éternel (3).

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

* Le film figure dans le Coffret Joaquim Pedro de Andrade (5 DVD), Carlotta Films 2007.

1. Le Festival Biarritz Amérique Latine 2022, 31e édition, s’est tenu du 26 septembre au 2 octobre 2022.

2. La soule est un jeu traditionnel, proche de sports anciens romains, ancêtre présumé du rugby et cousin du football.

3. Cf. les séquences "No Comment" de la chaîne de télévision Euronews.

4. Pelé est né en 1940.


Garrincha, le héros du peuple (Garrincha, alegria do povo). Réal : Joaquim Pedro de Andrade ; ph : Mário Carneiro ; mont : J.P.A. & Nello Melli ; mu : Carlos Lyra & Severino Silva. Avec Garrincha et Heron Domingues (Brésil, 1963, 60 mn). Documentaire.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts