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Anima Bella (2021)
de Dario Albertini
publié le mercredi 5 octobre 2022

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mecredi 5 octobre 2022


 


Anima Bella est le deuxième long métrage de fiction de Dario Albertini, auteur de Manuel le fils, brièvement sorti en France en 2018, mais qui remporta un grand succès en Italie. Les deux films forment un diptyque. Si le thème du fils nourrissait l’histoire de Manuel, jeune homme tout juste adulte devenu tuteur d’une mère sortant de prison, Gioa, l’héroïne de Anima Bella, doit pour sa part prendre en charge son vieux père. Il s’agit dans les deux cas pour Dario Albertini de montrer "un lien d’interdépendance anormal entre le parent et l’enfant, où celui-ci est obligé de prendre soin de son ascendant, apprenant à grandir et à mûrir en ne comptant que sur ses propres forces".


 

Anima Bella se divise lui-même en deux parties distinctes.
La première a pour cadre un village du Latium dont on ignore le nom. Le metteur en scène vient du documentaire et cela se voit à l’écran. Le regard qu’il porte sur la vie quotidienne provinciale n’a rien d’univoque, rien de bucolique, rien de pittoresque. Le bourg ressemble aux abords d’une banlieue. La campagne n’est pas coupée du monde extérieur. Les jeunes filles portent jeans et baskets, circulent en scooter, ne sauraient se passer de smartphone. Pour la fête de la madone locale, les statuettes la représentant sont importées de Chine, friables, insuffisamment cuites. Elles doivent repasser au four avant la célébration.


 


 

Dario Albertini insiste néanmoins sur la notion de communauté. L’orpheline Gioia est parfaitement intégrée. Elle y joue un rôle actif ; elle élève un troupeau de quatre-cents moutons ; elle produit du fromage de brebis ; elle le vend ; elle veille sur des voisins malades ou impotents et les ravitaille en eau de source bienfaisante aux vertus miraculeuses.


 


 

Il règne dans le village une atmosphère de spiritualité, de mysticisme, voire d’irrationnel. Bruno, le père de Gioia, ne cesse de tenter sa chance devant les machines à sous, espérant le miracle. Naturellement, sa fille, angélique mais pas dupe, ne l’entend pas de cette oreille. Elle se renseigne sur les thérapies pouvant mettre fin à cette forme d’addiction. Apprenant qu’il existe un lieu spécialisé dans ce domaine situé en ville, loin du village, elle décide, le cœur brisé, de vendre son cheptel et de fermer sa maison.


 


 

La métaphore de l’agneau pascal à sacrifier paraît claire. La scène néoréaliste où la jeune fille voit disparaître dans un camion tout son troupeau est particulièrement émouvante. La ville n’est autre que Civitavecchia, là où Stendhal fut consul de France, qui aujourd’hui fait partie de la province de Rome. Le centre de soins tient lui aussi de la communauté. D’une communauté thérapeutique. Non seulement pour le père, dont le récit se détache, mais pour la protagoniste, qui doit faire face à une succession d’épreuves.


 


 

Tout y est, en effet, inversé par rapport à ce qu’elle a connu jusqu’à présent. Au lieu d’une vie sociale authentique, elle affronte la solitude dans un motel sombre au voisinage anonyme. L’image du labyrinthe est récurrente avec, par exemple, des scènes de la ville de nuit, l’évasion paternelle du centre et la quête de Gioia à travers les salles de jeux où il est susceptible de se trouver. Le contraste avec le passé est souligné par la séquence de la discothèque qui polarise la paisibilité d’antan et la brutalité du présent, tant par les images saccadées que par la musique assourdissante.


 


 

Paradoxalement, le rythme du film, alors, faiblit. Se succèdent les moments d’apathie où l’héroïne reste prostrée dans sa chambre, d’autres où elle pédale furieusement sur un vélo sans changement de braquet pour livrer des pizzas – le seul boulot qu’elle a pu trouver pour vivre. Elle paye ainsi une dette sans fin due à son père.


 

Dario Albertini mêle avec brio acteurs professionnels et amateurs. La grande découverte est certainement Madalina Maria Jekal, dans le rôle-titre, qui n’avait jusqu’ici jamais tourné. Elle se montre bouleversante de gravité et de détermination. Par ailleurs, il convient de remarquer que le cinéaste a permis la dernière et brève apparition à l’écran de la grande comédienne de théâtre et de cinéma Piera Degli Esposti, qui s’est éteinte l’an dernier (1).

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Les deux derniers films de Piera Degli Esposti (1938–2021) sont Anima Bella de Dario Albertini (2021) et Corro da te de Riccardo Milani (2022).


Anima Bella. Réal, mu : Dario Albertini ; sc : D.A. & Simone Ranucci ; ph : Giuseppe Maio ; mont : Desideria Rayner ; déc : Alessandra Ricci ; cost : Martina Merlino. Int : Giustina Buonomo, Yuri Casagrande Conti, Enzo Casertano, Francesca Chillemi, Piera Degli Esposti, Paola Lavini, Elisabetta Rocchetti (Italie, 2021, 95 mn).



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