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Rosa Luxemburg (1986)
de Margarethe von Trotta
publié le jeudi 13 octobre 2022

par Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°175, juillet 1986

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1986.
Prix d’interprétation féminine pour Barbara Sukowa.

Sorties les mercredis 15 octobre 1986 et 12 octobre 2022


 


Soucieuse d’émancipation féminine, intéressée par les problèmes de notre époque, Margarethe von Trotta a été amenée tout naturellement à réaliser un film sur Rosa Luxemburg.
Le film est construit en flashes-back : les dernières années de Rosa Luxemburg se sont passées en majeure partie en prison car jamais elle n’a abandonné son pacifisme, elle a ignoré l’union sacrée. De sa prison, son passé remonte vers elle, mais surtout son passé allemand.


 

Et pourtant... née en Pologne en 1871 dans une famille de commercants juifs aisés, elle fait de brillantes études. Mais la Pologne d’alors fait partie de l’empire des tsars où le ferment révolutionnaire soulève la jeunesse : on est encore très près de l’épopée populiste, c’est le temps du mouvement terroriste qui a succédé. 1881 : le Tsar Alexandre II est assassiné.
Parmi les responsables, une jeune femme, Sophie Perovskaia ; bien d’autres sont activement révolutionnaires, qui n’ont que quelques années de plus que Rosa. Comment s’étonner qu’elle aussi, menacée par la police tsariste, doive s’enfuir en Suisse ? Elle n’a que 17 ans. Elle poursuit des études, milite dans le mouvement des travailleurs polonais, séjourne à Paris. Depuis 1890, elle partage la vie d’un camarade, Leo Jodische.


 


 

Elle ne deviendra allemande qu’en 1898, à 27 ans. Mais elle repartira dès 1905 pour participer à la révolution qui vient d’éclater en Russie ; elle fera quelques mois de prison sévère avant de revenir définitivement en Allemagne. C’est là que nous la montre la réalisatrice, dans un milieu socialiste qui cherche sa voie : Karl Kautsky, August Bebel mais aussi Klara Zedkine ou Karl Liebknecht. Un milieu ouvert, cordial, mais où Rosa, avec son excellente éducation, entourée de gens policés ne nous donne guère l’image de la révolutionnaire dont nous parle l’histoire.


 


 

Ce parti pris de la montrer dans sa quotidienneté avec tout ce qu’il y a en elle de naturel et de simplicité est estimable. On ne peut même pas accuser l’absence de passion. Mais il manque le recul de ceux qui vivent vraiment leurs idées, le mélange de sérénité et de force qu’ils peuvent seuls acquérir et que Rosa devrait posséder. C’est d’autant plus regrettable que le personnage est interprété - et très bien - par Barbara Sukova.
Cela tient surtout à la construction du film - d’ailleurs assez compliquée - qui privilégie la période allemande au détriment de celle qui a donné l’impulsion, et de celle ensuite où Rosa a affirmé une position originale au sein du mouvement socialiste.


 

Cependant, ce que montre Margarethe von Trotta - et c’est l’essentiel -, c’est l’unité du personnage, qu’il s’agisse de sa vie privée ou de sa vie publique. Rosa est un caractère très entier. Elle rompt avec Leo Jodische après dix sept ans de vie commune parce qu’il l’a trompée (une aventure de voyage rapide qui n’a jamais engagé ses sentiments à son égard et qu’elle n’a d’ailleurs connue que par lui-même) : pour elle, tout est désormais gâché. En politique, elle pousse jusqu’au bout la logique de ses déductions ; à "l’extrême gauche", elle se solidarise tout de suite avec la Révolution d’Octobre et fondera le groupe Spartakus avec Karl Liebknecht, qui a eu l’audace de condamner la guerre en plein Reichstag (seul parlementaire de tous les pays en guerre).


 


 

Mais cet extrémisme ne perd aucunement le sens de l’humain. Elle voudrait avoir un mari, des enfants, alors que Leo Jodische refuse ce droit aux révolutionnaires : ce serait, dit-il, le commencement de la peur.
Aux heures difficiles de janvier 1919, elle sera en désaccord avec Karl Liebknecht quand il lancera le mot d’ordre insurrectionnel, mais elle sera à ses côtés pour mourir. C’est ce sens de l’humain qui sera à l’origine de sa polémique avec Lénine. Pour elle le communisme devrait être indissolublement lié à la démocratie. Était-ce possible dans cet océan de barbarie qu’était la Russie de cette époque ? Le volontarisme de Lénine l’emporta et l’avenir fut engagé... un débat dont l’issue a déterminé l’histoire du siècle.
Quel dommage, on eut aimé un film moins allemand, plus ouvert sur l’aspect international du mouvement socialiste qui, seul, peut rendre les dimensions du personnage.

Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°175, juillet 1986


Rosa Luxemburg (Die Geduld der Rosa Luxemburg). Réal, sc : Margarethe von Trotta ; ph : Franz Rath ; mont : Dagmar Hirtz & Galip Iyitanir ; mu : Nicolas Economou ; déc : Stepan Exner & Bernd Lepel ; cost : Monika Hasse. Int : Barbara Sukowa, Daniel Olbrychski, Otto Sander, Karl Liebknecht, Adelheid Arndt, Jürgen Holtz, Doris Schade, Hannes Jaenicke, Jan Biczycki (Allemagne, 1986, 123 mn).



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