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Honneur perdu de Katharina Blum (l’) (1975)
de Volker Schlöndorff & Margarethe von Trotta
publié le jeudi 13 octobre 2022

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°94, avril 1976

Sorties les mercredis 31 mars 1976 et 12 octobre 2022


 


L’Honneur perdu de Katharina Blum est défini par Volker Schlöndorff comme la somme de ses œuvres précédentes : "Il y a beaucoup de mon expérience personnelle, c’est une adaptation littéraire... une confrontation avec la réalité de notre pays, et c’est un spectacle, du cinéma, au sens de ce que je souhaite quand je suis spectateur". (1)
L’histoire est tirée d’un roman de Heinrich Böll, un court roman aux allures de dossier, écrit après une descente de police chez l’auteur. On sait que l’intervention courageuse et isolée de l’écrivain en faveur des prisonniers politiques avait déchaîné contre lui la presse et l’opinion publique.


 


 

Katharina Blum, une jeune femme qui tient le ménage d’un couple d’avocats de gauche, rencontre lors d’une soirée chez sa tante, un jeune inconnu. Elle le ramène chez elle, et, tout naturellement, l’aide à s’échapper lorsqu’elle apprend qu’il est un déserteur soupçonné de participation un hold-up. Entre le mercredi de la rencontre et le dimanche suivant, Katharina se voit perquisitionnée brutalement, convoquée par la police, et devient l’objet d’une campagne de presse qui la désigne au lynchage moral de ses concitoyens, en tant que "pute à terroristes". Le dimanche soir, elle convoque le journaliste auteur des articles et le tue d’un cour de revolver.


 


 

Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta ont gardé le figure imaginée par Heinrich Böll, celle d’une fille calme et sérieuse, une fille d’ordre dont ses employeurs louent la conscience professionnelle, l’efficacité, la discrétion. Elle est prude et se refuse aux hommes parce qu’elle attend de l’amour et de la tendresse dans les rapports C’est un personnage moral qui croit aux valeurs bourgeoises, aux institutions, et elle s’arme pour défendre son honneur précisément, quand elle se rend compte que les institutions ne la protègent plus. Le public moyen peut donc s’identifier, ou plus exactement, comme dit Volker Schlöndorff, sympathiser avec elle, parce que ce type d’expérience peut lui arriver.


 


 

Heinrich Böll, dans son roman, usait d’un style de dossier, avec points de vue différents, retour en arrière, insertion de documents "bruts", témoignages, pages de journaux. Le film est au contraire raconté de manière toute simple, suivant l’ordre chronologique. Il parvient, de manière efficace et brillante, à mener de front le chemin que fait Katharina dans la découverte d’une réalité qui détruit son monde, et la connaissance que fait le spectateur de la personnalité et du passé de l’héroïne, cela sans retour en arrière ni psychologie.


 

Katharina est uniquement décrite à travers son comportement, et ce que disent d’elle ceux qui l’ont connue. Au fur et à mesure que nous la découvrons, se construit sous nos yeux l’image mythique formée par le journaliste, qui répond aux fantasmes du lecteur "moyen". Chaque élément de sa vie devient une charge contre elle. Elle a eu un père ouvrier et athée, elle est donc une rouge impie ; son ex-mari dit qu’elle était une fille "capable", elle devient capable de tout ; elle partait en voiture, après son travail, pour ne pas se résigner à regarder la télé, c’est bien qu’elle contactait des subversifs. Aussi, lorsque sa mère meurt à l’hôpital harcelée par le journaliste, sa mort devient-elle le châtiment de Dieu, et la morte, la première victime de la "fiancée rouge".


 

Et l’indignation reste entière, parce qu’aucun personnage positif ne vient prendre en charge le rétablissement du droit et de la justice. Les deux avocats qui peuvent témoigner pour elle, parce qu’ils connaissent le mécanisme qui identifie le fait divers à une machination politique de gauche, sont eux-mêmes victimes de la campagne de presse. Ils perdent leur emploi et se marginalisent. D’où l’impression très forte que les auteurs prennent eux-mêmes en charge le dossier, et suivent l’héroïne jusqu’à son geste final inclusivement. Pas, bien entendu, une apologie de la violence, comme l’a crié la presse à la sortie du roman, mais un constat : "Voici comment naît la violence", c’est le sous-titre du livre. L’histoire de Katharina est le révélateur qui permet de dénoncer le rôle de corrupteur de la conscience publique que joue la presse. Tout le monde peut reconnaître dans le Zeitung du film le prototype d’une presse, la presse Springer, dont le journal du film reproduit non seulement les méthodes de rédaction, mais les procédés de typographie et même le mode de diffusion.


 

Mais le film (comme le livre) ne se limite pas à dénoncer la presse, il dénonce aussi la justice qui laisse impliquer les avocats, la police qui est complice de cette presse, et surtout l’opinion publique qui se nourrit de mythe et accepte la chasse aux sorcières. Quand les avocats de Andreas Baader ont été arrêtés, quand une des inculpées est morte d’un cancer non soigné en juillet 1975, c’était pendant le Festival de Berlin (2), l’opinion publique semblait bien indifférente, et on entendait dans la rue des propos sinistres contre les quelques manifestants qui dénonçaient le traitement fait aux prisonniers politiques.
L’Honneur perdu suscite auprès du public, et en particulier du jeune public, un enthousiasme extraordinaire. Serait-ce que les silencieux se reconnaissent enfin comme les futures victimes de méthodes qui ne se limiteront pas toujours aux seuls pestiférés rouges ?

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°94, avril 1976

1. Cf. "Volker Schlöndorff depuis Törless", entretien, Jeune Cinéma n°94, avril 1976.

2. La Berlinale 1975 s’est déroulée du 27 juin 1975 au 8 juillet 1975.


L’Honneur perdu de Katharina Blum (Die verlorene Ehre der Katharina Blum oder : Wie Gewalt entstehen und wohin sie führen kann). Réal, sc : Volker Schlöndorff & Margarethe von Trotta, d’après le roman de Heinrich Böll, L’Honneur perdu de Katharina Blum ; ph : Jost Vacano ; mont : Peter Przygodda ; mu : Hans Werner Henze ; cost : Reinhild Paul & Annette Schaad. Int : Angela Winkler, Mario Adorf, Dieter Laser, Jürgen Prochnow, Heinz Bennent, Hannelore Hoger, Rolf Becker, Harald Kuhlmann, Henry van Lyck, Herbert Fux (Allemagne, 1975, 106 mn).



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