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Babaouo. C’est un film surréaliste ! (1998)
de Manuel Cusso-Ferrer, scénario de Dali
publié le jeudi 22 janvier 2015

Du livre au film
par Alain Virmaux
Jeune Cinéma n°276, juillet 2002


 


Dans le cadre du cycle "La Révolution surréaliste du cinéma", programmé par Jean-Michel Bouhours, le Centre Pompidou a présenté en avril 2002, à la suite d’une conférence sur Dali et le cinéma de Manuel Cusso-Ferrer, un film réalisé par ce dernier, Babaouo (1998), d’après le scénario de Salvador Dali (1). Scénario accompagné, dès la première publication, d’un sous-titre sans équivoque et très dalinien : "C’est un film surréaliste !" (bien noter le point d’exclamation).

Par-delà le goût invétéré de Salvador Dali pour la provocation - se souvenir de sa déclaration publique, dans les années 70, avec les mimiques assorties : "Le surréalisme, c’est moi !" - la publication de Babaouo visait ouvertement, en 1932, à rappeler avec force sa contribution (beaucoup trop occultée à son goût) au double avènement de Un chien andalou (1929) et de L’Âge d’or (1930), dont l’éclatant renom était imputé au seul Luis Buñuel.

S’estimant poussé en touche, dépossédé, injustement oublié, Salvador Dali en avait conçu de l’amertume. En fait, Luis Buñuel et lui, très liés pour Un chien andalou, s’étaient beaucoup moins bien entendus pendant la préparation de L’Âge d’or.

Les souvenirs de Luis Buñuel en témoignent : "Le charme de Un chien andalou me semblait totalement rompu. Était-ce déjà l’influence de Gala ? Nous n’étions d’accord sur rien. Chacun trouvait mauvais ce que l’autre proposait, et le rejetait. Nous nous sommes séparés amicalement, et j’écrivis le scénario tout seul, à Hyères, dans la propriété de Charles & Marie-Laure de Noailles" (2). Salvador Dali continua tout de même à envoyer des idées par lettres, et son nom fut maintenu au générique. En dépit de quoi, c’est Luis Buñuel qui "ramassa tout", si l’on ose dire.

D’où la frustration de Salvador Dali, alors en passe, au début des années 30, de devenir un des personnages clés du mouvement surréaliste. Il écrivit donc et publia Babaouo, pur délire poétique, comme pour bien marquer sa place et son rôle dans l’avènement d’un cinéma authentiquement surréaliste.

Sur ce plan-là, l’opération ne réussit guère, mais le livre reste intéressant par son préambule, "Abrégé d’une histoire critique du cinéma". Il y réhabilite certains films alors méprisés - mélodrames italiens "hystériques" avec Pina Menichelli, ou burlesques du premier âge. Attitude pionnière en ce temps-là et qui prolonge ses écrits sur le cinéma d’avant 1930, notamment pour la Gaceta literaria.

Fâché de ce que son Babaouo n’ait pas vraiment rencontré d’écho à sa sortie, il le fit republier beaucoup plus tard, dans une édition bilingue franco-espagnole, parue à Barcelone en 1978. Édition enrichie d’éléments inédits : une "prière d’insérer" et un "prologue", et aussi - glissé entre les pages du livre - le fac-similé d’une carte de visite amicale de Raymond Roussel, datée de novembre 1932. L’auteur des Nouvelles Impressions d’Afrique (1932 également), qui allait disparaître assez mystérieusement l’année suivante, y remerciait Salvador Dali pour l’envoi de Babaouo en termes banalement courtois et fort convenus.

Le geste de Salvador Dali est révélateur : qu’au bout de presque un demi-siècle, il brandisse fièrement cette unique caution - pas n’importe laquelle, d’accord, mais en forme d’accusé de réception simplement courtois et mondain - voilà qui donne la mesure de sa déception de jadis. Visiblement, il ne s’était pas consolé de ce que son Babaouo n’ait fait presque aucun bruit. Un flop, dirait-on aujourd’hui. Réparation posthume : le film qui en a été tiré, une dizaine d’années après sa mort, et qu’on vient de découvrir (3).

La tentative était risquée. Manuel Cusso-Ferrer s’en est plutôt bien tiré, en donnant à voir les délires daliniens - par exemple "les œufs sur le plat (sans le plat)" - mais en évitant de suivre le texte à la lettre. Nombre d’images insolites se gravent dans l’esprit, comme ces cyclistes coiffés d’une pierre et d’une longue traîne blanche qui tournent lentement autour d’un piano à queue.

La proximité avec les thèmes de Un chien andalou et de L’Âge d’or éclate à maintes reprises (sans que la force créatrice de Luis Buñuel soit aucunement remise en question). Cette proximité avait été soulignée déjà par Jean-Michel Bouhours dans sa présentation de Babaouo pour L’Anthologie du cinéma invisible de Christian Janicot (4). Cette re-publication - la seule accessible aujourd’hui - suit le texte de 1932, sans donc les ajouts daliniens de 1978, mais avec l’Abrégé d’une histoire critique du cinéma. Quant au film de Manuel Cusso-Ferrer, on souhaite le revoir à loisir dans d’autres cycles : il le mérite.

Alain Virmaux
Jeune Cinéma n°276, juillet 2002

1. Salvador Dali, Babaouo. C’est un film surréaliste !, scénario, Éditions des Cahiers libres, Paris, 1932.

2. Luis Buñuel, Mon dernier soupir, Robert Laffont, 1982. Rééd. Ramsay-Poche-Cinéma.

3. Sur Internet.

4. Éditions Jean-Michel-Place, 1995.



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