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Duchaussoy, Gérald & Vandestichele, Romain (livre)
Mario Bava, le magicien des couleurs (2019)
publié le mercredi 11 octobre 2023

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019

Gérald Duchaussoy & Romain Vandestichele, Mario Bava, le magicien des couleurs, Paris, Lobster, 2019.


 


L’index de la revue le prouve : Mario Bava n’est pas un auteur choyé par Jeune Cinéma. Une seule occurrence (1) - et seulement dans le corps d’un article général de René Prédal sur les monstres dans le cinéma fantastique, dans lequel il évoque, en un paragraphe La Maison de l’exorcisme (1973).


 

Une raison à cette absence : une bonne part de l’œuvre du cinéaste date d’avant octobre 1964 et la fondation de la revue. On n’hésitera pas à dire la meilleure part, puisqu’elle contient Le Masque du démon (1960), Hercule contre les vampires (1961), La Fille qui en savait trop (1963), Le Corps et le fouet (1963), Les Trois Visages de la peur (1963) et Six femmes pour l’assassin (1964), tous tournés entre 1960 et 1964. Tous inaccessibles à l’époque, après la fin de leur exploitation.


 


 

Quant à la vingtaine de titres qui ont suivi, on ne garde en mémoire que Danger : Diabolik (1967), L’Île de l’épouvante (1970) et la déjà citée Maison de l’exorcisme (1973) - en tout cas, aucun de ses westerns, ni ses films d’espionnage parodique, tel L’Espion qui venait du surgelé (1966). Et rien de ce qu’on a pu découvrir dans la récente rétrospective de la Cinémathèque de Bercy ne nous a fait changer d’avis (2).


 


 

Il n’empêche que, quelle que soit la qualité variable de ses films, Mario Bava est un auteur, avec ses thèmes, ses éclairs - Le Masque du démon, vu à sa sortie, dans sa fraîcheur et sans appareil critique, reste inoubliable -, ses élégances, ses facilités, ses bouts de ficelle comme une œuvre d’art et son sens du plan reconnaissable entre dix.


 


 

Il suffit de le comparer avec ses collègues, Lucio Fulci, Aldo Lado ou même Dario Argento. Et sa bibliographie en français était squelettique, depuis le livre de Pascal Martinet publié en 1984 par Edilig, et celui de Jean-Louis Leutrat, dix ans plus tard, par Cefal. Coup sur coup, comme pour accompagner l’hommage de Bercy, deux monographies surgissent, celle de Alberto Pezzotta (La Tour verte) et celle-ci, qui inaugure la nouvelle facette de Lobster, éditeur de papier en plus d’être rééditeur d’images. Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele sont manifestement des familiers de l’œuvre de Mario Bava. L’approche échappe à l’hagiographie : ils ne font pas de lui le S.M. Eisenstein du giallo ou du slasher. Mais rien ne semble leur avoir échappé de ses moindres intentions et des moindres détails de ses films. Que ceux-ci soient accomplis ou bricolés, leur analyse est toujours pertinente, à travers les changements de scripteur - on perçoit les sutures dans cette écriture à deux mains (3).


 


 

Illustrant le sous-titre, l’ouvrage insiste sur l’importance du travail visuel du réalisateur - on n’a pas été, des dizaines d’années durant, un des meilleurs chefs-opérateurs italiens sans qu’il en reste des traces dans ses propres films, d’autant que, quoique non crédité, il a réglé la lumière de presque tous. Les remarques sur le rôle de la voix comme "élément de déstabilisation" (p. 115), ou la description d’un plan de L’Île de l’épouvante (p. 130), ou du panoramique initial de La Ruée des Vikings (p. 127) démontrent pourquoi aucun film de Mario Bava n’est indifférent. Même dans les moins réussis - on pense à Arizona Bill (1964) ou à Roy Colt et Winchester Jack (1970) -, il y a toujours une pépite à extraire, au milieu d’un flot sans intérêt.


 

Un regret tout de même, le manque de "pédagogie", on ne trouve pas d’autre terme. L’ouvrage s’adresse à des spectateurs captifs, qui connaissent le sujet et n’ont pas besoin que le cinéaste soit replacé dans une chronologie et un contexte. Qui n’aurait vu qu’un ou deux titres parmi la quarantaine signée ou co-signée par Mario Bava aura de la difficulté à s’y retrouver. D’autant que si la bibliographie en fin de volume est fournie (4), on ne trouve pas de filmographie, ce qui est pourtant la moindre des choses dans une monographie ; certes, wikipedia est là pour renseigner ceux qui n’ont pas complètement exploré le territoire qui va du Masque du démon (1960) aux Démons de la nuit (1977), mais c’est un peu dommage - on ne peut imaginer que l’éditeur ait été à deux pages près.


 

Ceci n’empêche pas ce petit livre (il tient aisément dans la poche) d’apporter quelques pierres personnelles à l’édifice que la postérité a mis bien du temps à entreprendre - honnêtement, les amateurs, peu nombreux, qui se réjouissaient jadis devant La Planète des vampires (1965) n’imaginaient pas que, cinquante ans après, d’autres amateurs y trouveraient le même plaisir.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019

1. Jeune Cinéma n°106, novembre 1977.

2. Rétrospective Mario Bava. Le Rouge des origines, Cinémathèque (3-28 juillet 2019).

3. On aurait aimé que l’écriture soit parfois plus contrôlée. On ne sait trop comment traduire des phrases comme "Cette apparence, Bava en tire une liqueur qui affabule les intrigues".

4. Parfois trop : des ouvrages comme Vers une civilisation des loisirs ? de Joffre Dumazedier (1962), L’Inquiétante Étrangeté de Sigmund Freud (1919), ou Le Surréalisme au cinéma de Ado Kyrou (1953), s’ils ont leur place dans la culture personnelle des auteurs, n’ont que peu à voir avec le sujet. En revanche, l’idée d’y avoir inclus les sites Internet spécialisés - on en a compté vingt-trois - est excellente. On constate que nos fanzines préférés des années 70, Nyarlathotep, Peeping Tom ou Phantasm, ont trouvé des héritiers.


Gérald Duchaussoy & Romain Vandestichele, Mario Bava, le magicien des couleurs, Paris, Lobster, 2019, 168 p.



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