Le documentaire poétique de Alessandro Comodin, Gigi la legge, (son troisième long métrage) a pour personnage principal ou rôle-titre l’oncle du réalisateur, Pier-Luigi Mecchia, dit Gigi, un quinquagénaire qui exerce le métier de policier à San Michele al Tagliamento, un village du Frioul, région chère à Pier Paolo Pasolini.
Alors que, d’ordinaire, il ne s’y passe rien et que Gigi consacre son temps à patrouiller en voiture dans le bourg et ses alentours, deux éléments viennent perturber sa routine : la découverte d’un cadavre sur la voie ferrée puis l’arrivée d’une jeune standardiste au petit commissariat.

Gigi se révèle un personnage attachant, sensible, amateur de choses simples et de la nature. La première scène le montre d’ailleurs se faisant bruyamment sonner les cloches par son voisin qui l’enjoint d’élaguer ses arbres. Notre héros considère les plantes comme des êtres vivants.

L’enquête sur le suicide, événement pourtant dramatique qu’on pourrait a priori supposer exceptionnel, passe étonnamment au second plan. Il faut dire que le cinéaste privilégie la peinture locale, le portrait, par petites touches, du tonton et ses relations avec l’extérieur. Parmi celles-ci, prend de l’importance le flirt qu’il engage au téléphone avec Paola dont la voix l’enchante, avec laquelle il échange de petits riens qui lui donnent un second souffle. Il finira par l’inviter à dîner et de partager avec lui un "risotto aux fleurs".

Le ton général du film est donc grave et léger. L’auteur y représente la réalité en gardant toujours une certaine distance - la bonne distance -, avec une personne pourtant proche. Bien qu’il traite de son oncle, personnage lunaire et amusant, qu’il dépeigne un monde du passé coupé des contingences économiques et politiques, Alessandro Comodin a un style singulier qu’on aurait tort de rapprocher de celui d’un Jacques Tati.

Une heure quarante durant, on ne voit guère que lui, presque toujours au volant, pris de profil en longs plans-séquences. Du village, de la bicoque de Gigi, du commissariat, du voisin, de la jeune première, on ne voit que goutte. Presque tout et pratiquement tous resteront hors-champ.

De ce fait, bien que les images de Tristan Bordmann soient splendides, le travail sur le son est essentiel. L’ambiance générale est donnée par le bruit de fond du moteur. S’y mixent la brise, les oiseaux, le roulement de la voiture sur les ponts métalliques, et les fréquents appels téléphoniques. Deux tubes vintage rythment le récit : "Sono un pirata" (Soy un Truhán, Soy un Señor) de Julio Iglesias, et "Amor disperato" de Nada, chantés en chœur par Gigi et ses collègues. Mais ce qui donne véritablement son harmonie à la bande son est l’usage réitéré du dialecte frioulan, proche du vénitien, avec ce côté zézayant. Le langage est ici musique.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Les Aventures de Gigi la loi (Gigi la legge). Réal : Alessandro Comodin : ph : Tristan Bordmann ; mont : João Nicolau ; cost : Tiziana De Mario. Int : Ulisse Buosi, Tomaso Cecotto, Annalisa Ferrari, Mario Fontanello, Rebecca Martin, Ezio Massarutto, Pier Luigi Mecchia, Massimo Piazza, Mario Pizzolitto, Ester Vergolini (Italie, 2022, 102 mn). Documentaire.