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Ours (l’) (1988)
de Jean-Jacques Annaud
publié le mercredi 26 octobre 2022

par René Prédal
Jeune Cinéma n°191, novembre-décembre 1988

Sorties les mercredis 19 octobre 1988 et 26 octobre 2022


 


Par-dessus Le Nom de la rose (1986), la filiation de L’Ours par rapport à La Guerre du feu (1981) est évidente : même intérêt pour l’inné aux dépens de l’acquis, confiance totale faite à l’image et aux comportements, gageures esthétiques, techniques, financières et thématiques menées avec une ténacité et un perfectionnisme uniques dans le cinéma français.


 

Une fois de plus, le résultat est au niveau des ambitions et de la somme de talents patiemment réunis. Jean-Jacques Annaud aime définir son film par les quatre lignes qui décidèrent Claude Berri à le produire : "Un ourson orphelin, un grand ours solitaire, deux chasseurs dans la forêt, le point de vue des animaux".


 


 

Il faudrait y ajouter une prodigieuse direction des "acteurs" , car les scènes d’action ne constituent pas le principal. L’essentiel du film passe en effet par des rapports qu’il faut bien nommer "psychologiques" entre les animaux saisis en plans serrés dans des scènes intimistes. Tout alors est fonction des regards saisis au fond des sombres fourrures, accompagnant quelques gestes et grognements significatifs. Quant à la "morale" de la fable, elle est résumée dans la préface du livre de James Oliver Curwood reprise à la fin du film : "Il y a une émotion plus forte que celle de tuer : celle de laisser la vie".


 

Jean-Jacques Annaud gagne son pari de faire du bon cinéma avec de bons sentiments : étonné par la faiblesse soudaine de l’homme, l’ours lui laissera la vie, et en retour les chasseurs abandonneront leur poursuite. Le cinéaste n’explique rien mais suggère de profonds bouleversements psychiques par un montage qui aime faire suivre un plan très rapproché par l’immensité d’une nature vierge où, visiblement, l’homme ne peut mériter de survivre qu’en revoyant complètement son système de valeurs.


 


 

L’Ours est un beau roman d’apprentissage, car l’ourson n’est pas seul à acquérir l’expérience et le savoir. Par son intermédiaire, son gros protecteur et les deux pionniers auront fait eux aussi un bout de chemin vers la connaissance et la sérénité. La force du film réside dans sa simplicité. Le travail colossal d’une équipe de deux cents personnes au cœur des Dolomites pendant plusieurs mois, précédé de quatre ans de préparation et suivi de seize mois de montage, aboutit non au spectaculaire, mais à la beauté d’une ligne dramatique pure et d’images sobrement émouvantes. Aucune sensiblerie ou mièvrerie. Hommes et bêtes sont traités à la fois avec amour et une grande dignité. Poésie, tendresse, joie, peur ou tristesse se succèdent de manière naturelle, les références culturelles ayant nourri le travail de l’opérateur, du décorateur ou de Bretislav Pojar, responsable du rêve des méchantes grenouilles, se trouvant totalement immergées dans ce retour aux origines à partir duquel le film s’est édifié.


 

Il faut, bien sûr, que le spectateur retrouve son âme d’enfant pour se laisser émerveiller par ce spectacle assez inattendu, où la vérité de l’animal s’impose, entre le nounours de nos rêves et la bête sauvage des traités de zoologie.

René Prédal
Jeune Cinéma n°191, novembre-décembre 1988


L’Ours. Réal : Jean-Jacques Annaud ; sc : Gérard Brach, d’après Le Grizzly de James Oliver Curwood ; ph : Philippe Rousselot ; mont : Noëlle Boisson ; mu : Philippe Sarde. Int : Bart, Youk, Tchéky Karyo, Jack Wallace (France-USA, 1988, 96 mn).



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